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c - apprendre par l’image |
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Quand Aristote
(384 –322 av. J.-C.), dans la Poétique, définit
la poésie comme art d’imitation, sa perspective est
tout à fait différente de celle de Platon. En effet,
bien que le texte qui nous est parvenu ait pour objet la tragédie,
nous pouvons appliquer à la peinture la théorie générale
de la mimésis (comme « imitation » et « représentation »)
qu’Aristote a élaborée comme fondement à son
analyse de la tragédie. A une critique ontologique de l’imitation,
conçue comme source de tromperie, Aristote oppose la présentation
d’une tendance innée, d’une activité naturelle, à laquelle
les hommes prennent plaisir, un plaisir qui n’est pas seulement
esthétique, mais cognitif, car lié à la (re)connaissance
des objets du monde. Dès lors, si la peinture est illusionniste,
elle n’est pas tromperie mais support de connaissance. Grâce à cette
intellectualisation qui fait du travail du peintre une étape
intermédiaire entre sensation et pensée, par l’intermédiaire
de la « phantasia », l’imagination, c’est
le statut d’artiste qui se dessine au lieu de simple artisan. |
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Aristote,
Poétique, 1448b |
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Imiter est
en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes – et
ils se différencient des autres animaux en ce qu’ils
sont des êtres fort enclins à imiter et qu’ils
commencent à apprendre à travers l’imitation
-, comme la tendance, commune à tous, de prendre plaisir
aux représentations ; la preuve en est ce qui se passe dans
les faits : nous prenons plaisir à contempler les images
les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible
dans la réalité, comme les formes d’animaux
les plus méprisés et des cadavres. Une autre raison
est qu’apprendre est un grand plaisir non seulement pour
les philosophes, mais aussi pour les autres hommes – quoique
les points communs entre eux soient peu nombreux à ce sujet.
On se plaît en effet à regarder les images car leur
contemplation apporte un enseignement et permet de se rendre compte
de ce qu’est chaque chose, par exemple que ce portrait-là,
c’est un tel ; car si l’on se trouve ne pas l’avoir
vu auparavant, ce n’est pas en tant que représentation
que ce portrait procurera le plaisir, mais en raison du fini dans
l’exécution, de la couleur ou d’une autre cause
de ce genre.
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Traduction de Michel Magnien,
Le Livre de Poche classique, 1990, 14 lignes |
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Le texte qui suit
dresse explicitement un parallèle entre peinture et tragédie.
Tout comme l’essentiel dans la tragédie est la représentation
de l’action, c’est-à-dire l’histoire, en
peinture c’est le contour, le dessin, qui priment. Si la comédie
est moins noble que la tragédie parce qu’elle s’attache à peindre
les caractères, non les actions, en peinture s’impose
une dichotomie analogue entre la valorisation du dessin, qui prime
chez un Zeuxis, et l’agrément plus facile de la couleur,
que privilégie un Polygnote. Puisque pour Aristote, la tragédie
est le genre le plus noble de la création poétique,
on en déduit qu’une même supériorité est
attribuée à la peinture qui privilégie le contour
du dessin, la ligne et non la couleur. Aristote contribue ainsi de
manière importante au débat sur les mérites
respectifs du dessin et de la couleur, récurrent dans toute
l’histoire de l’art occidental. (cf texte de Denis d’Halicarnasse
et de Cicéron en Esth 3/) : |
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Aristote,
Poétique VI, 1450 a-b |
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Il n’y a point de tragique qui
n’emploie ces six parties, et qui n’ait spectacle ou représentation,
fable, caractères, pensées, paroles, chant ; mais de ces parties,
la plus importante est la composition de l’action. Car la tragédie
est l’imitation non des hommes, mais de leurs actions, de leur
vie, de ce qui fait leur bonheur ou leur malheur. Car le bonheur
de l’homme est dans l’action. La fin même est action et n’est pas
qualité. La qualité fait que nous sommes tels ou tels, mais ce
sont les actions qui font que nous sommes heureux, ou que nous
ne le sommes pas. Les poètes tragiques ne composent donc point
leur action pour imiter le caractère ou les mœurs ; ils imitent
les caractères pour produire l’action : l’action est donc la fin
de la tragédie. Or en toute chose la fin est ce qu’il y a de plus
important. Sans action, il n’y a point de tragédie : il peut y
en avoir sans caractères. La plupart de nos pièces modernes n’en
ont point. C’est même le défaut assez ordinaire des poètes comme
des peintres. Zeuxis était fort inférieur à Polygnote en cette
partie. Celui-ci excellait dans la peinture des mœurs : on n’en
voit point dans la peinture de Zeuxis. […]
L’action est donc la base, l’âme de la tragédie, et les caractères n’ont que
le second rang. Elles sont à l’action ce que les couleurs sont au dessin : les
couleurs les plus vives répandues sur une table feraient moins d’effet qu’un
simple crayon qui donne la figure.
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D’après la
traduction de J. Barthélémy de Saint Hilaire, Paris,
librairie
philosophique de Ladrange, 1846 |
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Le De anima confère à l’imagination
(phantasia) un rôle essentiel. Pour Aristote la sensation participe
de l’élaboration de la connaissance, dont elle est la
première étape : toute connaissance part de la sensation.
L’imagination, définie comme « mouvement produit
par la sensation en acte », entre à un second niveau
dans le processus cognitif, parce qu’elle permet la formation
des images mentales. Or Aristote conclut en 432a 9sq : « même
quand on pense spéculativement, on doit avoir une image mentale
avec laquelle penser ». Ainsi, la perception sensible, plus
particulièrement celle de la vue, se trouve au fondement de
la connaissance chez Aristote : une telle affirmation du rôle
de l’image renverse le statut de l’art plastique qu’on
pouvait trouver chez Platon (Agnès Rouveret, Histoire
et imaginaire de la peinture ancienne, p.386).
Cette primauté accordée à la sensibilité et à l’imagination
explique qu’à la différence de Platon, Aristote
puisse valoriser l’art mimétique, qui met en mouvement
l’imagination et ouvre par l’intermédiaire des sens
la voie à la connaissance.
D’autre part l’imitation produit chez le spectateur la « catharsis »,
que l’on peut traduire par « épuration » des
passions : la représentation des passions sur scène et
la (re)connaissance de ces passions par le spectateur, sont porteurs
d’enseignements moraux. On peut sans doute étendre cet
effet cathartique à la représentation des passions en
peinture.
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Aristote,
Poétique VI,1449b24 |
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Donc la tragédie est l’imitation
d’une action de caractère élevé et complète,
d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements
d’une espèce particulière suivant les diverses
parties, imitation qui est faite par des personnages en action et
non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et
crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions.
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traduction de J. Hardy,
Belles Lettres, 1961, 4 lignes |
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