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LA CONCEPTION ANTIQUE DE L’ART
VUE PAR LES MODERNES |
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« La Peinture
a été entièrement anéantie », constate
R. de Piles dans la Dissertation qui clôt son « Cours de
Peinture » : la peinture grecque, bien sûr ; car en vrai
moderne, il est convaincu qu’avec Titien et Rubens par exemple
( - artistes qui reçoivent dans sa « balance des Peintres » la
meilleure note en coloris), l’art pictural a été véritablement
rétabli. |
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Roger de Piles, 1708
Cours de peinture par principes |
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En
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Winckelmann (1717-1768)
peut être appelé le père du classicisme allemand.
Dans Réflexions sur l'imitation des ouvrages grecs dans la peinture
et la sculpture, il définit ce que fut la beauté pour
les Anciens, en interrogeant en particulier le concept de mimésis. |
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Winckelmann, 1755
Réflexions sur l'imitation des ouvrages grecs dans la peinture
et la sculpture |
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Gedanken über die
Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei und Bildhauerkunst.
Das allgemeine, vorzügliche Kennzeichen der griechischen Meisterstücke
ist endlich eine edle Einfalt und eine stille Größe, sowohl
in der Stellung als im Ausdruck. So wie die Tiefe des Meeres allezeit
ruhig bleibt, die Oberfläche mag noch so wüten, ebenso zeigt
der Ausdruck in den Figuren der Griechen bei allen Leidenschaften eine
große und gesetzte Seele.
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La caractéristique
universelle et essentielle de tout chef-d’œuvre grec est
en dernier lieu une noble simplicité et une grandeur sereine,
tant dans la position que dans l’expression. De même que
les profondeurs de l’océan restent imperturbablement calmes,
quelle que soit l’agitation de la surface, l’expression
des figures représentées par les Grecs dénote
toujours une âme grande et posée, quelles que soient les
passions auxquelles elles sont soumises. |
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La grâce comme
caractéristique des œuvres de l’art antique : |
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Die Grazie ist das vernünftig
Gefällige. Es ist ein Begriff von weitem Umfange, weil er sich
auf alle Handlungen erstreckt. Die Grazie ist ein Geschenk des Himmels,
aber nicht wie die Schönheit, denn er erteilt nur die Ankündigung
und Fähigkeit zu derselben. Sie bildet sich durch Erziehung und Überlegung
[…]. In ihr bestand der Vorzug des Apelles, und des Correggio
in neueren Zeiten, und Michelangelo hat sie nicht erlangt. Über
die Werke des Altertums aber hat sie sich allgemein ergossen und ist
auch in dem Mittelmäßigen zu erkennen.
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La grâce est
ce qui est rationnellement plaisant. Dans la mesure où il s’applique à toutes
les actions, c’est
un vaste concept. La grâce est un don du Ciel, cependant, contrairement à la
beauté, il ne nous l’offre que sous la forme d’une
annonce ou d’une prédisposition. Elle se forme ensuite
par l’éducation et la réflexion […]. C’est
en elle que réside la qualité d’Apelle, et celle
du Corrège dans des temps moins anciens ; Michel-Ange, lui,
n’a su l’acquérir. En revanche, elle s’est
répandue sur toutes les œuvres de l’Antiquité,
et elle est visible même chez les artistes médiocres de
cette époque. |
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Winckelmann
pose la question de la mimésis dans l’art
grec:
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Dieses Gesetz aber : „die
Personen ähnlich und zu gleicher Zeit schöner zu machen“,
war allezeit das höchste Gesetz, welches die griechischen Künstler über
sich erkannten, und setzt notwendig eine Absicht des Meisters auf eine
schönere und vollkommenere Natur voraus. Polygnotus hat dasselbe
Gesetz beständig beobachtet.
Wenn also von einigen Künstlern berichtet wird, dass sie wie Praxiteles
verfahren, welcher seine Knidische Venus nach seiner Beischläferin Kratina
gebildet, oder wie andere Maler, die Lais zum Modell der Grazien genommen, so
glaube ich, sei es geschehen, ohne Abweichung von gemeldeten allgemeinen großen
Gesetzen der Kunst.
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Mais cette loi : « représenter
les personnes avec ressemblance tout en les faisant plus belles » fut
de tout temps la loi suprême à laquelle se soumirent les
artistes grecs, et suppose nécessairement que leurs maîtres
ont eu l’intention de représenter une nature plus belle
et plus parfaite. Polygnote a lui-même observé cette loi
sans jamais la trahir.
Je pense donc que si l’on affirme que certains artistes ont procédé à la
manière de Praxitèle, qui peignit sa Vénus de Cnide d’après
le modèle de son amante Cratina, ou à la manière d’autres
peintres, qui prirent Lais comme Modèle des Grâces, cela ne se fit
cependant jamais dans l’oubli des grandes lois universelles de l’art
que j’ai énoncées ci-dessus. |
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La peinture comme représentation du conceptuel, du plus
que sensible:
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Die Malerei erstreckt
sich auch auf Dinge, die nicht sinnlich sind; diese sind ihr höchstes
Ziel, und die Griechen haben sich bemüht, dasselbe zu erreichen,
wie die Schriften der Alten bezeugen. Parrhasius, ein Maler, der
wie Aristides die Seele schilderte, hat sogar, wie man sagt, den
Charakter eines ganzen Volks ausdrücken können. Er malte
die Athenienser, wie sie gütig und zugleich grausam, leichtsinnig
und zugleich hartnäckig, brav und zugleich feige waren. Scheint
die Vorstellung möglich, so ist es nur allein durch den Weg
der Allegorie, durch Bilder, die allgemeine Begriffe bedeuten. |
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La peinture a aussi pour objet des
choses qui n’appartiennent pas au sensible; ces dernières
sont son ultime fin, et les Grecs se sont efforcés de l’atteindre,
comme en attestent les écrits des Anciens. Il paraît
que le peintre Parrhasius, qui comme Aristide savait représenter
l’âme, est même allé jusqu’à exprimer
le caractère de tout un peuple. Il peignit les Athéniens
dans toute leur bonté et leur cruauté, leur insouciance
et leur obstination, leur courage et leur lâcheté. Et
s’il est possible de peindre cela, ce n’est que par l’allégorie,
par des symboles renvoyant à des concepts universels. |
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traductions H.Paukner |
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Dans Laokoon, Lessing se propose de tracer les frontières
entre les arts plastiques et la poésie. Dans cet extrait,
il adopte une vision toute winckelmannienne de la mimésis.
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Lessing, 1766
Laokoon, Partie I, Chap. 2 |
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4a) [Der griechische]
Künstler schilderte nichts als das Schöne; selbst das gemeine
Schöne, das Schöne niedrer Gattungen, war nur sein zufälliger
Vorwurf, seine Übung, seine Erholung. Die Vollkommenheit des
Gegenstandes selbst musste in seinem Werke entzücken; er war
zu groß von seinen Betrachtern zu verlangen, dass sie sich
mit dem bloßenkalten Vergnügen, welches aus der getroffenen Ähnlichkeit,
aus der Erwägung seiner Geschicklichkeit entspringet, begnügen
sollten; an seiner Kunst war ihm nichts lieber, dünkte ihm nichts
edler, als der Endzweck der Kunst.
Pauson, […] dessen niedriger Geschmack das Fehlerhafte und
Häßliche an der menschlichen Bildung am liebsten ausdrückte,
lebte in der verächtlichsten Armut. Und Pyreicus, der Barbierstuben,
schmutzige Werkstätte, Esel und Küchenkräuter, mit
allem dem Fleiße eines niederländischen Künstlers
malte, als ob dergleichen Dinge in der Natur so viel Reiz hätten,
und so selten zu erblicken wären, bekam den Zunamen des Rhyparographen,
des Kotmalers; obgleich der wollüstige Reiche seine Werke mit
Gold aufwog, um ihrer Nichtigkeit auch durch diesen eingebildeten
Wert zu Hülfe zu kommen.
[Lessing: Laokoon, S. 16. Digitale Bibliothek, S. 67585 (vgl. Lessing-W
Bd. 6, S. 18)]
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4b) L’artiste grec ne représentait
rien d’autre que le Beau, et même, dès que le
beau semblait être commun, ou d’une espèce inférieure,
il ne pouvait être pour lui plus qu’une ébauche
faite par hasard, un exercice, une récréation. C’est
la perfection de l’objet même qui devait plaire dans
son œuvre ; et c’était trop demander au public
que de se contenter du maigre plaisir que procure une œuvre
ressemblante ou une œuvre où apparaît la seule
habileté du peintre. Rien dans son art ne lui était
plus cher, rien ne lui semblait plus noble que la fin même
de l’art. […]
Ainsi, Pauson, […] que son mauvais goût poussait à représenter
le plus volontiers ce que la constitution humaine peut avoir d’imparfait
ou de laid, vivait dans la plus grande misère. Et Pyreicus,
qui peignait avec le zèle d’un peintre flamand des boutiques
de barbiers, des ateliers sales, des ânes et des plantes aromatiques,
comme si de tels objets avaient été particulièrement
agréables à contempler et difficiles à trouver
dans la nature, fut surnommé « Rhyparographe »,
ce qui ne signifie ni plus ni moins que le « peintre des déchets» ;
alors même que ce riche vivant dans la luxure s’ingéniait à masquer
la vanité de ses œuvres et à en rehausser la valeur
en les ornant d’or.
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Traduction originale H. Paukner |
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Le Comte de Caylus
(critiqué par Lessing pour ses propos sur Homère, dans
un ouvrage publié en 1757 : « Le comte s’y connaissait
mieux en peinture qu’en poésie », Laokoon, Aufbau-Verlag
Berlin und Weimar, p. 227,) fut littérateur, mais aussi archéologue
et collectionneur ; ici, il rend compte du renouveau du regard sur
la peinture ancienne au XVIIIe siècle, chez des érudits
conscients de n’accéder, avec les fresques récemment
découvertes à Rome, qu’à des œuvres
de seconde main - mais susceptibles pourtant de livrer des connaissances
très neuves sur la peinture des Anciens. Entrant en compétition
avec Turnbull en matière de restitution de la couleur des
fresques, il propose dans cet ouvrage, dont il n’existe que
30 tirages, un procédé tout à fait original. |
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Comte de Caylus, 1783
Recueil de peintures antiques trouvées à Rome,
t.1.
(in Bartoli, Dessins Pietro Sante (1635-1700)
Commentaires de M. Mariette). |
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Avertissement
La Peinture n’a d’autre but que la représentation
fidèle des objets qu’elle se propose d’exposer à nos
regards.[…] La peinture, entre les mains des Chinois […]
est, dans sa pratique, absolument différente de la nôtre
[…]. On pourrait peut-être en dire autant de la peinture
des Anciens : sa marche s’éloigne, à beaucoup
d’égards, de la nôtre ; et nous ne faisons rien
pour nous en approcher. Nous serions trop heureux de posséder
l’art du dessin dans un degré aussi éminent
que les Grecs, nous savons leur rendre justice sur ce point, mais
nous croyons les surpasser dans la partie de la composition ; et
s’il faut lier les groupes, et distribuer des lumières
et des ombres pour produire un heureux effet de clair-obscur, loin
de vouloir leur céder, nous nous mettons fort au-dessus
d’eux. Nos yeux accoutumés à une magie de la
peinture, qui, trop souvent hors du vrai, n’en cause pas
moins une sorte d’illusion et de prestige, auraient peine à se
satisfaire à cette simplicité de composition, à cette
unité de clair-obscur, à ces couleurs pures et entières,
qui faisaient les délices des Anciens, et qui, j’ose
le dire, mériteraient encore de faire les nôtres,
si l’amour de la nouveauté et le désir de montrer
de l’esprit ne nous avait fait perdre insensiblement le goût
de la belle et simple nature. […]
Je témoignerai tous mes regrets sur la perte de tous les
chefs-d’œuvre sortis du pinceau des Grecs, bien assuré que
s’ils subsistaient encore, ils trouveraient de zélés
défenseurs dans ceux mêmes qui les attaquent le plus
vivement […]
Les Anciens n’ont point connu la peinture à l’huile,
et privés des avantages qu’elle présente, leurs
tableaux, peints à la détrempe, n’ont pu avoir
la même vigueur que les nôtres : cela peut-être à quelques égards.
[…] Ces morceaux, peints chez les Romains, et presque tous
dans des siècles où la peinture n’avait plus
cet éclat dont elle avait brillé dans la Grèce,
ne peuvent être considérés que comme de faibles
restes d’un art expirant. […] Adhérentes à des
murailles, où elles tenaient lieu de nos lambris et de nos
tapisseries, elles dépendaient souvent ou faisaient partie
de composition d’ornement ; et, de l’aveu même
des Anciens, ce genre d’ouvrage n’occupait ordinairement
que les Peintres de second ordre […] Nous n’avons donc
aucune peinture antique qui soit digne d’être mise
sur le compte de ces grands artistes dont les noms célèbres
sont venus jusqu’à nous. Quelque médiocres
que soient celles qui ont été conservées,
elles n’en portent pas moins un caractère qui les
rapproche, à beaucoup d’égards, des tableaux
exécutés dans les meilleurs siècles ; et je
pense qu’après les avoir bien considérées
et s’en être rempli, il nous peut rester une assez
juste idée de ce qu’étaient ces merveilles
de l’art, qui ont fait le plus de bruit. […] C’en
est assez pour nous rendre infiniment précieux le petit
nombre de peintures antiques que le temps a épargnées,
et nous ne pouvons trop nous féliciter, quand il se fait
quelque nouvelle découverte en ce genre. Raphaël fut
témoin des premières qui se firent au commencement
du seizième siècle. […] Personne n’ignore
combien il fut particulièrement affecté de la façon
dont il y vit les ornements traités ; il admira le mélange
des feuillages, des fleurs, des animaux, des figures humaines,
et de cent autres objets […] une totalité sur laquelle
l’œil se promenait avec d’autant plus de satisfaction,
que les couleurs les plus riches et les plus brillantes en augmentaient
l’agrément.[…]
En partant des descriptions mêmes de chaque peinture, on
sent naître le désir de voir comment les couleurs
y étaient distribuées, et quel effet il résultait
de leur union.
Le sieur George Turnbull, Anglais, paraît avoir été occupé de
cette idée, lorsqu’il a publié à Londres,
en 1740, les cinquante planches qui terminent son traité de
la Peinture ancienne. […] C’était trop peu pour
lui d’avoir fait graver une première fois cette nombreuse
suite de peintures antiques, en s’aidant de la méthode
ordinaire qui, comme tout le monde le sait, se contente d’exprimer
les formes et les contours des choses […] l’auteur
anglais a voulu accompagner les trois premières de ces peintures,
chacune en particulier, d’une seconde planche simplement
au trait et où fussent désignées, par des
chiffres correspondants à une explication particulière,
les couleurs de chaque objet, conformément à la peinture
originale. […] Que plusieurs Artistes entreprennent de peindre
un tableau semblable à celui dont on leur aura mis sous
les yeux la seule description, il résultera autant de compositions
différentes qu’il y aura de personnes qui se sont
exercées.
J’ai senti cet inconvénient : et voulant donner un
ouvrage qui fit mieux connaître la peinture antique dans
toutes ses parties, j’ai imaginé un moyen différent
de celui auquel le sieur Turnbull avait eu recours, et dont personne,
je crois, ne s’est servi jusqu’à présent
[…]
J’ai donc fait graver des planches au simple trait, et ce
trait, gravé au miroir, en donnant la véritable position
et le contour juste de chaque objet, guidera le Peintre à gouazze,
dont il sera nécessaire d’emprunter le ministère,
et lui servira à poser chaque couleur à sa véritable
place. Car voilà comment je l’entends : les estampes
que j’ai fait graver doivent être coloriées
conformément à mes dessins, et l’on se servira,
pour cela de couleurs à la gomme, qui seront couchées
avec le pinceau sur le papier, et qui imiteront, avec autant de
fidélité qu’il sera possible, le travail de
la peinture antique […] il serait malheureux de ne pas trouver
dans toute l’Europe trente personnes assez curieuses et assez
désintéressées pour entrer dans mes vues.
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Paris, Didot l’aîné,
1783 |
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Dans
l’introduction
de son traité « De l’idéal », Quatremère
de Quincy prend soin de souligner l’ambiguïté de
cette notion, s’agissant de l’imitation dans les beaux-arts
; en effet, « l’opération de l’art et de
l’esprit de l’artiste » ne vise pas la spéculation
métaphysique, et, contrairement à « l’essence
même de l’idéal », « se fait facilement
comprendre par de simples démonstrations au sens physique
(p.4).
Ainsi, devant une statue grecque, « sans commentaire aucun… personne
ne saurait contester que les Grecs aient porté l’art
de l’imitation du corps humain à ce degré de
beauté, dont la notion de l’idéal nous développera
l’éminente supériorité ». En effet,
ce qui est le propre de la culture antique, aux yeux de l’auteur,
c’est l’admirable concordance entre une « théorie
généralisée du beau », transmise par les
textes, et sa matérialisation, « réduite en pratique » par
la création plastique. Or, le génie grec réside
dans l’invention mimétique : « l’art se
composa, si l’on peut dire, une seconde nature » (p.
7), en substituant à une collection de modèles individuels,
des exemplaires de beauté généralisée.
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Quatremère
de Quincy, 1837
Essai sur l’idéal dans ses applications pratiques aux œuvres
de l’imitation propre des arts du dessin. |
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Première Dissertation,
II, p.8-9. […] Que cette manière d’entendre et
d’expliquer la notion de l’idéal, dans les œuvres
de l’imitation en général (mais particulièrement
dans celles du corps humain et de sa configuration par les arts du
dessin) ait été celle des anciens écrivains
grecs et romains, c’est ce qu’un passage d’Aristote
nous fait surabondamment entendre, lorsqu’il désigne
trois degrés dans l’imitation de l’homme, par
des exemples tirés des trois sortes de style, qui distinguèrent
trois peintres Grecs, savoir : Polygnote, Denis et Pauson.
Le premier, dit-il peignait les hommes plus beaux qu’ils ne
sont, kreistous, le second les représentait tels qu’ils
sont, omoious, le troisième, au dessous de ce qu’ils
sont, cheirous (Arist.Poet.ch.II) Or, cette triple définition
de la représentation du corps humain nous fait assez entendre
qu’il dépend, soit de l’étude ou de l’idée
généralisée des formes corporelles, soit d’une étude
plus particularisée jointe à un sentiment moins relevé,
soit d’une pratique d’imitation rétrécie
par une routine vulgaire […]
Par exemple, on pourrait, sans sortir des temps modernes, donner
comme démonstrations de ces trois degrés d’imitation… les
ouvrages de trois écoles bien connues, et que chacun peut
apprécier. Le premier degré serait celui qu’on
ne peut s’empêcher d’appliquer comparativement à l’école
Romaine et à la Florentine. Le second caractérise évidemment
le goût de l’école Vénitienne. Chacun a
déjà nommé le genre et la manière, et
le choix des personnages ou des sujets qui désignent le troisième
degré, ou l’école Flamande. |
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La
première
dissertation de l’Essai sur l’idéal est consacrée à la
réfutation de la thèse d’un auteur contemporain, « Recherches
sur l’art statuaire » (cité p.18), selon laquelle
il n’y aurait pas eu d’imitation idéale dans l’art
grec, mais une imitation résultant « d’un modèle
positif, réel et sensible ». La démonstration
de Quatremère s’appuie essentiellement sur des exemples
empruntés à la sculpture, mais ses arguments dressent
un tableau de l’histoire de l’art ancien – de l’époque
de Phidias, à la période alexandrine, qui remettent
en jeu l’ancien modèle des maîtres « austères » et
des épigones amollis – tous, cependant, attachés
au même modèle formel, d’une imitation idéale. | |
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Première Dissertation, XVI,
p.141-149. […]Depuis Phidias, le style d’imitation, et
ce qu’on appelle la manière des artistes, loin de se
porter vers l’idéal, ou le système de généralisation,
dans l’imitation du corps humain, marcha progressivement vers
le style imitatif des détails, et de cette vérité que
nous avons appelée individuelle ou particularisée […].Il
y eut en effet aussi, chez les Grecs, des artistes qui […]
furent taxés d’avoir péché, par un excès
dans l’expression du vrai. Tel fut Démétrius,
que Quintilien accuse d’avoir été nimius in veritate,
et similitudinis quam pulchrituidinis amantior. […] Ce Démétrius,
qui avait fait du vrai (in veritate) le but principal de son imitation,
loin d’avoir précédé Phidias, fut un de
ses successeurs. […]Le mot nimius employé par le critique,
nous prouve que la théorie de l’art, chez les Anciens,
mettait au nombre des excès, et par conséquent des
défauts, cette fidélité minutieuse qui, comme
nous l’avons vu chez plus d’un moderne, vise à calquer,
si l’on peut dire, un modèle. Enfin ce passage nous
fait bien connaître que la saine critique, chez les Grecs,
plaçait l’imitation de la beauté idéale,
au-dessus d’une fidélité excessive des détails
imitatifs. […]
Si donc il est historiquement prouvé, que depuis Périclès
jusqu’à Alexandre, le style de l’art a toujours
marché, dans une progression sensible et continue, de l’idéal,
ou de l’imitation généralisée, au genre
des détails ou de l’imitation particularisée
; il doit résulter de là que ni dans l’ordre
des idées, ni dans l’ordre des temps, les Grecs (selon
l’opinion que j’ai combattue) n’ont recherché la
vérité de l’imitation avant la beauté des
formes. |
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Quatremère
de Quincy, Secrétaire perpétuel de l’Académie
des Beaux-Arts, réfute ici l’idée selon laquelle
le beau « est de nature à être saisi par l’œil ».
Il s’agit de fonder le caractère véritablement
idéal du modèle grec – modèle insurpassable
aux yeux de Quatremère, en affirmant que, dans la genèse
d’une œuvre, la vision intérieure de l’artiste
l’emporte sur ses facultés sensibles : |
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Première dissertation, II,
p.26-29. […] Pour justifier cette prétention, il va
jusqu’à chercher une preuve dans l’étymologie
du verbe grec eidô, je vois […]. Prévenons donc
toute équivoque sur ce point. Si l’on se borne à prétendre
que le beau idéal, rendu sensible par le talent de l’artiste,
dans l’ouvrage de la peinture ou de la sculpture, est un beau
visible, en tant qu’il s’adresse nécessairement
aux yeux ; rien de plus naïvement vrai, et le dire, c’est
ne rien dire du tout. […] Mais si l’on entend que ce
beau peut être découvert ou reproduit par le seul secours
des yeux, sans l’action d’une vue intérieure,
celle de l’esprit, du sentiment et du goût […]
ce serait à mon avis méconnaître et ce qu’il
y a de plus précieux dans l’œuvre de l’imitation,
et ce qu’il y a de plus rare dans les facultés d’imitateur. |
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Paris, Librairie d’Adrien
Le Clere et Cie, 1837 |
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