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Esthétique

Ekphrasis

Oeil et vision

 
   

Introduction

La mimésis

Floridi / austeri

Via compendiaria

La question de la perspective

Couleur et rhétorique, poésie et peinture

La conception antique de l’art vue par les modernes

 
 

 

La peinture comme imitation

Critique platonicienne de la mimesis : la skiagraphie

Apprendre par l’ image

Mimesis des Anciens

Xénocrate

 

 
     
   
                 
 
a - la peinture comme imitation
  La peinture dans l’Antiquité est uniformément définie comme mimesis. Les différentes traductions de ce terme grec, « représentation » ou « imitation », montrent que la qualité de la mimesis, véritable critère d’appréciation des performances picturales pour les Grecs de l’Antiquité, a un statut différent selon les auteurs.

Nous disposons de nombreuses anecdotes, chez Pline notamment, illustrant le pouvoir illusionniste de la peinture. Pouvoir de représenter le réel, de donner à voir les objets ou les êtres absents, la mimesis est surtout interprétée comme étant le pouvoir de rendre la vie, le mouvement, d’imiter la nature elle-même. C’est à ce titre que la nature peut devenir critique d’art : les animaux s’avèrent parfois les meilleurs juges de son pouvoir…
 
         
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §65, 66
         
Descendisse hic in certamen cum Zeuxide traditur et, cum ille detulisset uvas pictas tanto successu, ut in scaenam aves advolarent, ipse detulisse linteum pictum ita veritate repraesentata, ut Zeuxis alitum iudicio tumens flagitaret tandem remoto linteo ostendi picturam atque intellecto errore concederet palmam ingenuo pudore, quoniam ipse volucres fefellisset, Parrhasius autem se artificem. Fertur et postea Zeuxis pinxisse puerum uvas ferentem, ad quas cum advolassent aves, eadem ingenuitate processit iratus operi et dixit: “uvas melius pinxi quam puerum, nam si et hoc consummassem, aves timere debuerant ‘’.
  On raconte que ce dernier [Parrhasius] entra en compétition avec Zeuxis : celui-ci avait présenté des raisins si aisément reproduits que les oiseaux vinrent voleter auprès d’eux sur la scène ; mais l’autre présenta un rideau peint avec une telle perfection que Zeuxis, tout gonflé d’orgueil à cause du jugement des oiseaux, demanda qu’on se décidât à enlever le rideau pour montrer la peinture, puis, ayant compris son erreur, il céda la palme à son rival avec une modestie pleine de franchise, car, s’il avait personnellement, disait-il, trompé les oiseaux, Parrhasius l’avait trompé lui, un artiste. On rapporte que Zeuxis peignit également, plus tard, un enfant portant des raisins ; des oiseaux étant venus voleter auprès de ces derniers, en colère contre son œuvre, il s’avança et dit, avec la même franchise : « J’ai mieux peint les raisins que l’enfant, car, si je l’avais aussi parfaitement réussi, les oiseaux auraient dû avoir peur. »
         
      traduction d’A.Reinach, La peinture ancienne, 1921; Macula 1985
 
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 95
     
Est et equus eius, sive fuit, pictus in certamine, quo iudicium ad mutas quadripedes provocavit ab hominibus. Namque ambitu praevalere aemulos sentiens singulorum picturas inductis equis ostendit: Apellis tantum equo adhinnivere, idque et postea semper evenit, ut experimentum artis illud ostentaretur.
  Il existe – ou a existé – de sa main un cheval, peint lors d’un concours, à propos duquel il en appela du jugement des hommes à celui des quadrupèdes pourtant muets. En effet, s’apercevant que ses rivaux l’emportaient grâce à leurs intrigues, il fit amener des chevaux et leur montra les œuvres de chacun des artistes successivement : or ils ne hennirent que devant le cheval d’Apelle, et l’on utilisa toujours ce procédé par la suite, à titre de test évident de valeur artistique.
       
      traduction d’A.Reinach, La peinture ancienne, Macula 198
       
  La mimésis ne s’applique cependant pas à n’importe quel objet : ce qui doit être rendu, parfaitement imité, c’est le mouvement, la vie. Philostrate indique qu’il faut peindre « à la bonne heure » et « avec la grâce » seule capable de rendre l’impression de la vie (Philostrate joue sur le double sens de « hôra », qui signifie à la fois « saison », c’est-à-dire le sujet du tableau « les Heures », et « grâce »), Philostrate, Les Eikones, texte 34, « les Heures », traduction de Bougot, les Belles Lettres, 1991).  
       
Philostrate,
Vie d’Apollonios de Tyane, II, 22
   
  Cependant il dit à Damis : « crois-tu qu’il y ait un art de peindre ? – Oui, s’il y a une vérité. – Et que fait cet art ? – Il mêle les couleurs entre elles, le bleu avec le vert, le blanc avec le noir, le rouge avec le jaune. – Et pourquoi les peintres font-ils ce mélange ? Est-ce seulement pour donner à leurs tableaux de l’éclat, comme font les femmes qui se fardent ? – C’est pour mieux imiter, pour mieux reproduire, par exemple, un chien, un cheval, un homme, un vaisseau, et tout ce qu’éclaire le Soleil. La peinture va même jusqu’à représenter le Soleil, tantôt monté sur ses quatre chevaux, comme on dit qu’il apparaît ici, tantôt embrasant le ciel de ses rayons, et colorant l’éther et les demeures des Dieux. – La peinture est donc l’art d’imiter ? – Pas autre chose. Si elle n’était pas cela, elle ne ferait qu’un ridicule amas de couleurs assemblées au hasard.
       
      traduction d’A.Reinach, La peinture ancienne, Macula 198
       
Philostrate,
La galerie de tableaux, Introduction
 
Ne pas aimer la peinture, c’est mépriser la vérité même, c’est mépriser ce genre de vérité que nous rencontrons chez les poètes, car la peinture, comme la poésie, se complaît à nous représenter les traits et les actions des héros ; c’est aussi n’avoir point d’estime pour la science des proportions, par laquelle l’art se rattache à l’usage même de la raison. Si l’on voulait parler avec subtilité, on dirait que la peinture est une invention des dieux, en songeant aux différents aspects de la terre dont les prairies sont comme peintes par les saisons et à tout ce que nous voyons dans le ciel.
       
      traduction d’Auguste Bougot, révisée par Lissaragues, Belles Lettres, 1991, 8 lignes
Philostrate,
La galerie de tableaux, Livre II, 34
     
  …pour les Heures elles-mêmes, elles sont pleines de charme et peintes avec un art merveilleux. Vois en effet comme elles semblent bien chanter, avec quelle rapidité tourne leur ronde, comme nulle d’entre elles n’est vue de dos, toutes semblant venir au-devant du spectateur.
[…]
Je ne sais si elles ne nous permettent point de raconter une fable sur le peintre ; il me semble en effet qu’il rencontra les Heures comme elles dansaient, que sur leurs exhortations pressantes il se mit à l’ouvrage, les déesses voulant ainsi montrer, j’imagine, qu’il faut peindre à la bonne heure.
       
      traduction d’Auguste Bougot, révisée par Lissaragues, Belles Lettres, 1991, 6 lignes