Mondrian camouflé, 1968
200 x 180 cm. Châssis de toiles peinte
et de camouflage assemblés.
 
         
  Mondrian camouflé 1968  
       

- Tu ne reconnais pas pas Mondrian, là-derrière ?
- Tout camouflé qu’il est, si!
- Et attention! Camouflé par de la vraie toile de camouflage - celle que l’armée utilise!... Le geste n’est pas anodin - on est en 1968!
- Tu connais l’histoire de ce tissu? Buraglio aime la raconter, d’ailleurs...
- Que c’est un peintre abstrait, que l'armée a embauché pour peindre ces toiles...
- Oui. Et que l’armée n’est pas bête, et qu’elle a vite compris qu’elle pourrait tirer parti des dites avant-gardes...
- On a oublié qui était l’auteur de ce motif; il était pourtant promu à un bel avenir, celui-là, non seulement militaire, mais surtout artistique...
- ...Et retour…
- Oui. Retour à Buraglio: c'est un geste pour le moins iconoclaste, de camoufler Mondrian, non? Camoufler la peinture? Quel culot!... Pas pour dire "circulez, il n’y a rien à voir". Mais au contraire - comme dirait Buraglio - justement si ! Justement si, il y a quelque chose à voir dans ce camouflage... quelque chose comme la peinture en état de siège, elle aussi…
- Hé bien, pour nous qui n’avons pas vécu 1968, on a là un bel exemple de subversion...
- Prudence : pas n’importe quelle subversion. Subversion picturale!... Parce que là encore, décidément, c’est un geste de peintre, une question de peintre. Une question de peinture.
- Mais la question, c'est de savoir comment un artiste pouvait s’engager dans sa pratique, à l'époque, avec ses moyens à lui?
- Peut-être que... Mondrian camouflé, c'est peut-être la marque d'une impasse? Un constat d'échec ?... Je veux dire, ce Buraglio, qui est sur le point d’arrêter de peindre pour aller travailler…
- Mais non, ce n’est pas un échec, puisque ce geste nous parle encore, nous saisit encore - nous arrête même!
- ...C’est d’une désinvolture inouïe!... De la véritable subversion, en somme. Parce que c'est encore une façon de “ faire avec ” la peinture; et même de prendre le parti de la peinture.
- Exactement. Et ce geste s’inscrit dans l’histoire de la peinture. C’est là qu’est la subversion au fond: il ne s'agissait pas de faire comme si la peinture soudain n’existait plus!...
- Et ça nous désarçonne complètement. On y perd nos repères sans les perdre vraiment... On est toujours en face d’un tableau - c’est toujours en deux dimensions... Pas de quoi nous affoler, en principe. Et pourtant...
- On est décentré, comme dit Pierre Wat. On voit quand même ce qui est caché, mais… mais c'est iconoclaste : ça cache l’image, et ça en montre quand même le fond. On est bien obligé de voir, même si on ne peut pas voir au travers…
- Question d’écran, alors?…
- Question de cadre, de fenêtre sur le monde… Question de peinture, on y revient.
- On n’a pas fini d’y revenir...