D'après… Francisco de Zurbaran
"Je sais varier quand je le veux" (N. Poussin, cité par P. Buraglio in Le pêcheur à la ligne).

Que reste-il du Saint François de Zurbaran ? Tout est découpé, décalé : le corps du Saint est amputé et décentré ; il est cantonné à gauche du panneau. Le centre, c'est le vide, un fond bleu. A l'amputation s'ajoute la décapitation: le recouvrement blanc de la partie supérieure de la porte suggère un recouvrement du visage. Occulter la face, c'est occulter le côté daté du tableau de Zurbaran, son inspiration "très catholique". Mais cette occultation masque aussi le face à face extatique avec Dieu, et supprime ainsi la dimension religieuse - le statut d'icône du tableau de référence. Quant à l'ombre, elle est agrandie et juxtaposée au corps comme figure à part entière. Figure et historia sont donc ici malmenées. Destruction, déconstruction ? Il s'agit plutôt de l'intervention d'un regard autre: car choisir une porte pour support, c'est inviter à pénétrer l'oeuvre de Zurbaran, matérialiser un seuil et un angle de vue ; c'est la violence inhérente à toute "opération de peinture dans la peinture" (Le pêcheur à la ligne), au sens chirurgical : ouvrir, disséquer, retirer, recoudre.

Dans ce travail "d’après", il s'agit d'un autre face à face. Le Saint de Zurbaran est le reflet de Dieu, miroir qui réfléchit Sa lumière; dans celui de Buraglio, la juxtaposition des figures constitue le nouveau centre d’intérêt; car ici, nous avons droit à l'original et au double, tandis que chez Zurbaran, seul le reflet mystique nous était donné à voir. Le décadrage inverse la promesse d'éternité du Zurbaran: cette porte a des allures de memento mori, plus que de portrait. "Tu es poussière et tu redeviendras poussière" : poussez la porte pour voir l'envers du décor. Le décadrage recadre en renversant, et si Pierre Buraglio dédouble le Saint, il invite aussi à dédoubler le Zurbaran, comme un miroir qui réfléchit à l'envers : variation du miroir, partition de la mort, son néant silencieux.
Car il s'agit bien d'une porte silencieuse, où recouvrir est refus de raconter. Lignes et couleurs n'en ressortent que mieux, une tendance à l'abstraction qui appelle la participation du spectateur : deux moitiés de figures de part et d'autre, deux angles en forme de V. Dans la géométrie des lignes, la figure principale est la croix. Le travail graphique est souligné par le bleu qui fait valoir l'ocre, le noir: équilibre. Le recadrage violent opéré par un regard neuf récupère ainsi la spiritualité du tableau de Zurbaran ; en désacralisant figure et historia, Buraglio sacralise le support et invite à une véritable contemplation.

D'après… Francisco de Zurbaran (Saint François)
2002
Peinture à l'huile sur porte
204 x 73