Selon la légende,
le pape Nicolas V aurait découvert le corps imputrescible
du Saint comme en extase à l'ouverture de son tombeau
en 1449. Or, cette toile ne représente pas la scène,
elle met le spectateur en présence d‚une expérience
mystique. Délaissant personnages, accessoires et decorum,
Zurbaran renouvelle le thème franciscain par un dépouillement
poussé à l'extrême.
Une dynamique de la pesanteur donne au Saint une dimension hiératique:
sa taille à échelle humaine lui confère
grandeur et réalisme, elle confronte le spectateur à la
figure, frontalement; les plis du drapé produisent une
forte attraction vers le sol en même temps qu'ils dirigent
le regard vers le haut du tableau. Le corps est immobile: la
cordelette est figée. L'ombre donne au corps son volume
en le détachant du fond, et le violent clair-obscur d'un
sujet mis en lumière dans les ténèbres achève
de dégager totalement la figure de la surface de la toile.
La plasticité du traitement de la silhouette massive du
Saint transforme le sujet en statue, matérialise sa présence.
Ainsi découpée, inscrite dans le cadre et lui échappant,
la vision du mort dressé dans son tombeau est, littéralement,
une apparition.
Au caractère dépouillé de la composition
répond l'économie de la palette, qui associe aux
teintes d'ombre, des gammes d'ocre à la limite de l'abstraction
; de grandes masses de couleurs austères, qui symbolisent
les valeurs de l'Ordre franciscain, portées à leur
perfection par le Saint. Seul le visage émerge du capuchon;
il échappe à la pesanteur minérale du corps.
La bouche entr'ouverte, le regard tourné vers le haut,
la vive lumière qui éclaire la face appellent un
au-delà du tableau qui est également sa source
lumineuse : point de fuite, béance de la représentation.
Une tension naît de ce mouvement contradictoire: aspiration
vers le haut d'un corps voué à la pesanteur. Signe
de la présence divine, l'extase du Saint authentifie la
légende. L'effet de présence se démultiplie:
François n'est pas seul ; son dialogue silencieux est
une Conversation Sacrée - un face à face extatique
avec l'invisible, par-delà la mort.
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