Butins et expositions
Les Romains ont connaissance de la peinture grecque grâce aux
butins que les armées victorieuses rapportent des batailles
gagnées contre les Grecs et que l’on expose dans les temples
et portiques. La victoire sur Pyrrhus à Bénévent
en 275 avant notre ère entraîne l’arrivée à Rome
de statues, peintures, tapisseries, œuvres d’orfèvrerie
et d’argenterie grecs ; celle de Paul-Emile en 186 , celle de
Sylla en 86 avant J.-C. (il rapporte notamment des œuvres de Zeuxis
en 84), victoire qui, correspondant aussi au sac d’Athènes,
provoque l’afflux d’artistes athéniens en Italie.
A cette époque, le principe de l’exposition publique existait
déjà à Rome, puisque l’on accrochait sous
des portiques (la Stoa grecque, ou « galerie de tableaux » selon
le titre de Philostrate) les œuvres rapportées, dans les
temples aussi, et dans les demeures privées.
Cette « muséologisation » antique de la peinture
grecque est le corollaire de son instrumentalisation, puisque Rome
utilise ses nouvelles possessions pour glorifier sa puissance et ses
conquêtes. Rome désormais huitième merveille du
monde selon Pline, musée universel, utilise l’art grec
comme un trophée, décor public ou privé de sa
gloire; mais aussi comme modèle. La peinture grecque devient
la matrice de la création contemporaine : si le sculpteur Pasitélès
(fin de la République) dénombre, dans un traité en
cinq volumes, les « œuvres célèbres du monde
entier » possédées par Rome, c’est pour mieux
inviter les artistes romains à les reproduire. A. Rouveret résume
ainsi ces phénomènes d'appropriation : « Les artistes
hellénistiques tardifs [à Rome] exécutaient les
commandes de clients qui avaient d’amples opportunités
de contempler des chefs-d’oeuvre de l’art classique et
hellénistique ». (Rouveret, 1995) Un certain éclectisme
De fait, les Romains aiment passionnément l’art grec. De manière générale, l’hellénisme est marque de goût, de distinction. Le Romain peut emprunter à l'art grec des traits d’époques très différentes sans que cela soit pour lui contradictoire. Les villas de Pompéi, les villas de Boscoreale, de Boscotrecase, celle d’Auguste sur l’Aventin, la Villa Farnesina à Rome, les mosaïques de Préneste (qui, dans le sanctuaire de la Fortune Primigenia à Palestrina contiennent des scènes de genre directement issues de l’Egypte ptolémaïque) font cohabiter sans complexe ces deux aspects : l’harmonie classique de la statuaire du Ve siècle avec la fantaisie et le pittoresque de la peinture alexandrine, usant de l’ars
compendiaria et des colores
floridi, cette absence de distinction étant d’ailleurs finalement assez conforme à l’art grec original, puisque l’on sait, contre Pline désormais, que le pittoresque et l’effet polychromique existait déjà à l’âge classique. Même si la manière dont les Romains copiaient les Grecs n’est pas complètement élucidée, il semble qu’ils n’employaient pas l’encaustique pour peindre les statues mais lui préféraient la polychromie de matériaux.
Des mosaïques reproduisent des peintures grecques
Les artistes employés sur les chantiers des villa romaines
et campaniennes du Ier siècle avant notre ère et du
siècle suivant reproduisent donc, parfois de manière
très fidèle sur les parois et les sols, dans des fresques
et des mosaïques, des œuvres hellènes connues, ou
en reprennent des caractéristiques stylistiques et iconographiques
fidèle, par exemple, la mosaïque de la « bataille
d’Alexandre » dans la Maison du Faune à Pompéi,
d’après une peinture de Philoxénos d’Erétrie
du IVe s. Ils développent un art fondé sur l’illusion
accrue, la mise en espace et le modelé des ombres et lumières,
sur les couleurs variées et vives aussi, dans des peintures
murales plus ou moins importantes, simples tableautins centrés
dans un décor architectonique illusionniste, fait de faux
pilastres ou d’imitation de marbres, ou bien vastes fresques
ou « skiagrafia » (où les personnages sont grandeur
nature). » De fait, on connaît la peinture alexandrine
presque uniquement grâce à ses épigones romains,
surtout grâce aux mosaïques qui introduisent le goût
pour le paysage et l’alliance rococo de la nature et de l’architecture
dans un art romain qui n’y était auparavant pas accoutumé.
Cette iconographie fait aussi écho à la poésie
alexandrine, qui privilégiait la couleur locale, l’imaginaire
raffiné, et l’idyllique. Contre le style « alexandrin », déjà
Peinture dans la vulgarité la plus bariolée, dans des expédients
Ce style pictural décoratif, en vigueur aux 1e siècles avant J.-C.
et après J.-C. à Rome provoque les foudres de Vitruve et Pline. Ils
marquent la décadence de l’art, la chute de la qui font appel aux
sens, à l’aide de couleurs impures et de principes illusionnistes
troubles. Toute une génération d’auteurs romains vitupère ainsi contre
cette peinture florissante qui, selon eux, provient de contrées « asiatiques » (Nubie,
Arabie, voire Chine) : d’où la forgerie du concept d’ « asianisme » pour
qualifier cet art, en opposition avec l’atticisme, l’art pur de l’Athènes
classique. Ainsi, Pline écrit que cette nouvelle mode romaine imite
ce qu’avaient fait les « Anciens », à savoir, selon A. Rouveret (1989)
ce que les artistes du monde hellénistique avaient réalisé, par exemple,
comme l’attestent les découvertes archéologiques, en Macédoine, dans
les palais de Pella datant du IVe siècle ; ou bien sur les décors
en plaques de marbre du palais d’Halicarnasse de Mausole. Or, ces
styles décoratifs, notamment le « premier style pompéien », existent
déjà dans les maisons du Ve siècle et, archéologiquement, sont attestés
dans l’agora d’Athènes dès la fin du Ve siècle : en plein classicisme,
donc. Ils ne riment dès lors pas exclusivement avec l’« asianisme » du
monde hellénistique.
En somme, les premières entreprises de discours sur la peinture s’énoncent en formulant le deuil de leur objet d’étude même. En effet, les premières ekphraseis de la peinture antique se placent sous le signe du dénigrement (de la peinture contemporaine) et du regret (de ce que faisaient les Grecs anciens). Georges Didi-Huberman (1997) le formule ainsi : « Comme si l’origine de l’histoire de l’art n’avait de sens, dans le discours, qu’à énoncer d’abord la disparition, dans le réel, de son propre objet. » L’histoire de la peinture commence dans une sorte d’ « originaire fin », rendant du coup l’écriture de la peinture et l’ekphrasis indispensable pour son existence (voire sa survie), puisque la vraie, la bonne peinture, celle qui ne tombait pas dans la luxuria et l’audacia, est morte.
L’entreprise plinienne aura un impact considérable sur la perception de la peinture antique et de la peinture en général, en encourageant la pratique de l’ekphrasis ; et en rejetant : l’art hellénistique et la couleur « florissante », l’ornement (Winckelmann sera par exemple un digne héritier de ces deux attitudes, ainsi que l’aveuglement du XIXe siècle sur la polychromie antique). Les textes de Pline, et des auteurs antiques d’ekphraseis en général ont informé le regard moderne sur l’art antique en lui « promettant » des peintures somptueuses, ce qui a suscité un nombre considérable de déceptions (face aux fouilles archéologiques qui n’attestaient souvent en rien cette qualité picturale) et, partant, le retour privilégié (faute de mieux) aux textes ekphrastiques; mais aussi en condamnant le « vulgaire », le bariolé, ce qui, étrangement, sera souvent confirmé par les découvertes archéologiques, puisqu’elles ne laissèrent voir, pendant longtemps, que des statues, des frontons et des galeries d’un blanc immaculé.
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