Invention de la peinture

Chronologie

Carte

 

 

 

 
   

Peinture et ekphrasis

Rome

Du Moyen-Âge à la Renaissance

XVIIIe et XIXe siècles

XXe et XXIe siècles

 

 

 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

 

 

 
 
 
   
                 
 
A Rome  
   
Butins et expositions

Les Romains ont connaissance de la peinture grecque grâce aux butins que les armées victorieuses rapportent des batailles gagnées contre les Grecs et que l’on expose dans les temples et portiques. La victoire sur Pyrrhus à Bénévent en 275 avant notre ère entraîne l’arrivée à Rome de statues, peintures, tapisseries, œuvres d’orfèvrerie et d’argenterie grecs ; celle de Paul-Emile en 186 , celle de Sylla en 86 avant J.-C. (il rapporte notamment des œuvres de Zeuxis en 84), victoire qui, correspondant aussi au sac d’Athènes, provoque l’afflux d’artistes athéniens en Italie. A cette époque, le principe de l’exposition publique existait déjà à Rome, puisque l’on accrochait sous des portiques (la Stoa grecque, ou « galerie de tableaux » selon le titre de Philostrate) les œuvres rapportées, dans les temples aussi, et dans les demeures privées.
Cette « muséologisation » antique de la peinture grecque est le corollaire de son instrumentalisation, puisque Rome utilise ses nouvelles possessions pour glorifier sa puissance et ses conquêtes. Rome désormais huitième merveille du monde selon Pline, musée universel, utilise l’art grec comme un trophée, décor public ou privé de sa gloire; mais aussi comme modèle. La peinture grecque devient la matrice de la création contemporaine : si le sculpteur Pasitélès (fin de la République) dénombre, dans un traité en cinq volumes, les « œuvres célèbres du monde entier » possédées par Rome, c’est pour mieux inviter les artistes romains à les reproduire. A. Rouveret résume ainsi ces phénomènes d'appropriation : « Les artistes hellénistiques tardifs [à Rome] exécutaient les commandes de clients qui avaient d’amples opportunités de contempler des chefs-d’oeuvre de l’art classique et hellénistique ». (Rouveret, 1995)

Un certain éclectisme

De fait, les Romains aiment passionnément l’art grec. De manière générale, l’hellénisme est marque de goût, de distinction. Le Romain peut emprunter à l'art grec des traits d’époques très différentes sans que cela soit pour lui contradictoire. Les villas de Pompéi, les villas de Boscoreale, de Boscotrecase, celle d’Auguste sur l’Aventin, la Villa Farnesina à Rome, les mosaïques de Préneste (qui, dans le sanctuaire de la Fortune Primigenia à Palestrina contiennent des scènes de genre directement issues de l’Egypte ptolémaïque) font cohabiter sans complexe ces deux aspects : l’harmonie classique de la statuaire du Ve siècle avec la fantaisie et le pittoresque de la peinture alexandrine, usant de l’ars compendiaria et des colores floridi, cette absence de distinction étant d’ailleurs finalement assez conforme à l’art grec original, puisque l’on sait, contre Pline désormais, que le pittoresque et l’effet polychromique existait déjà à l’âge classique. Même si la manière dont les Romains copiaient les Grecs n’est pas complètement élucidée, il semble qu’ils n’employaient pas l’encaustique pour peindre les statues mais lui préféraient la polychromie de matériaux.

Des mosaïques reproduisent des peintures grecques

Les artistes employés sur les chantiers des villa romaines et campaniennes du Ier siècle avant notre ère et du siècle suivant reproduisent donc, parfois de manière très fidèle sur les parois et les sols, dans des fresques et des mosaïques, des œuvres hellènes connues, ou en reprennent des caractéristiques stylistiques et iconographiques fidèle, par exemple, la mosaïque de la « bataille d’Alexandre » dans la Maison du Faune à Pompéi, d’après une peinture de Philoxénos d’Erétrie du IVe s. Ils développent un art fondé sur l’illusion accrue, la mise en espace et le modelé des ombres et lumières, sur les couleurs variées et vives aussi, dans des peintures murales plus ou moins importantes, simples tableautins centrés dans un décor architectonique illusionniste, fait de faux pilastres ou d’imitation de marbres, ou bien vastes fresques ou « skiagrafia » (où les personnages sont grandeur nature). » De fait, on connaît la peinture alexandrine presque uniquement grâce à ses épigones romains, surtout grâce aux mosaïques qui introduisent le goût pour le paysage et l’alliance rococo de la nature et de l’architecture dans un art romain qui n’y était auparavant pas accoutumé. Cette iconographie fait aussi écho à la poésie alexandrine, qui privilégiait la couleur locale, l’imaginaire raffiné, et l’idyllique.

Contre le style « alexandrin », déjà

Peinture dans la vulgarité la plus bariolée, dans des expédients Ce style pictural décoratif, en vigueur aux 1e siècles avant J.-C. et après J.-C. à Rome provoque les foudres de Vitruve et Pline. Ils marquent la décadence de l’art, la chute de la qui font appel aux sens, à l’aide de couleurs impures et de principes illusionnistes troubles. Toute une génération d’auteurs romains vitupère ainsi contre cette peinture florissante qui, selon eux, provient de contrées « asiatiques » (Nubie, Arabie, voire Chine) : d’où la forgerie du concept d’ « asianisme » pour qualifier cet art, en opposition avec l’atticisme, l’art pur de l’Athènes classique. Ainsi, Pline écrit que cette nouvelle mode romaine imite ce qu’avaient fait les « Anciens », à savoir, selon A. Rouveret (1989) ce que les artistes du monde hellénistique avaient réalisé, par exemple, comme l’attestent les découvertes archéologiques, en Macédoine, dans les palais de Pella datant du IVe siècle ; ou bien sur les décors en plaques de marbre du palais d’Halicarnasse de Mausole. Or, ces styles décoratifs, notamment le « premier style pompéien », existent déjà dans les maisons du Ve siècle et, archéologiquement, sont attestés dans l’agora d’Athènes dès la fin du Ve siècle : en plein classicisme, donc. Ils ne riment dès lors pas exclusivement avec l’« asianisme » du monde hellénistique.
En somme, les premières entreprises de discours sur la peinture s’énoncent en formulant le deuil de leur objet d’étude même. En effet, les premières ekphraseis de la peinture antique se placent sous le signe du dénigrement (de la peinture contemporaine) et du regret (de ce que faisaient les Grecs anciens). Georges Didi-Huberman (1997) le formule ainsi : « Comme si l’origine de l’histoire de l’art n’avait de sens, dans le discours, qu’à énoncer d’abord la disparition, dans le réel, de son propre objet. » L’histoire de la peinture commence dans une sorte d’ « originaire fin », rendant du coup l’écriture de la peinture et l’ekphrasis indispensable pour son existence (voire sa survie), puisque la vraie, la bonne peinture, celle qui ne tombait pas dans la luxuria et l’audacia, est morte.
L’entreprise plinienne aura un impact considérable sur la perception de la peinture antique et de la peinture en général, en encourageant la pratique de l’ekphrasis ; et en rejetant : l’art hellénistique et la couleur « florissante », l’ornement (Winckelmann sera par exemple un digne héritier de ces deux attitudes, ainsi que l’aveuglement du XIXe siècle sur la polychromie antique). Les textes de Pline, et des auteurs antiques d’ekphraseis en général ont informé le regard moderne sur l’art antique en lui « promettant » des peintures somptueuses, ce qui a suscité un nombre considérable de déceptions (face aux fouilles archéologiques qui n’attestaient souvent en rien cette qualité picturale) et, partant, le retour privilégié (faute de mieux) aux textes ekphrastiques; mais aussi en condamnant le « vulgaire », le bariolé, ce qui, étrangement, sera souvent confirmé par les découvertes archéologiques, puisqu’elles ne laissèrent voir, pendant longtemps, que des statues, des frontons et des galeries d’un blanc immaculé.