Les découvertes archéologiques ainsi que leurs analyses scientifiques corrélatives se multiplient aux XIXe et XXe siècles ; elles ont des répercutions fortes sur la connaissance de la peinture grecque et hellénistique, de son histoire à ses procédés techniques et à ses relations avec les textes des Anciens.
Un pionnier, Léon Heuzey
C’est d’abord la somme de l’archéologue
Léon Heuzey, que Napoléon envoie en Grèce du
Nord en 1861, La Mission en Macédoine, publiée à Paris
en 1876, qui marque les esprits, et qui, aujourd'hui encore, est
un ouvrage de référence. Dans un texte qui mêle
aux récits d’explorations et aux descriptions pittoresques
des campagnes et bergers macédoniens un recensement pointu
des vestiges et une érudite et éclairée interprétation
des sites, nourrie de philologie, Heuzey repère toute la civilisation
de la Grèce du Nord et en particulier les sites de Pella,
Lefkadia, Palatitsia. Il découvre des tumuli, des tombes de
type macédonien (à voûte), du mobilier funéraire,
et des peintures d’architecture (une lithochromie figure parmi
les planches de gravures de l’édition de 1876) qu’il
analyse à la lumière des textes antiques, de Homère à Pline: « Il
faut remarquer d’abord l’emploi des enduits peints, appelés
par les Romains tectorium opus, expolitiones, mais déjà bien
connu des Grecs sous le nom de xoni’amata. Le pinceau figure
encore de préférence des ornements d’architecture,
et nous montre, par un exemple incontestable, le système de
polychromie des temples s’étendant aux constructions
privées. Nous voyons les revêtements de stuc reproduire
l’appareil même de la construction, en l’enrichissant
par l’imitation des couleurs variées du marbre. C’était,
d’après Vitruve, l’emploi le plus ancien de la
décoration peinte et celui qui était le plus conforme
au goût simple et rationnel des Grecs. »
Les personnages que sont Esprit-Marie Cousiney, chancelier, vice-consul
puis consul de France à Thessalonique, et puis le lieutenant-colonel
W. M. Leake, agent secret de sa Majesté britannique, jouent également
un rôle important dans la redécouverte de la Macédoine
en laissant des descriptions essentielles, très complètes,
des vestiges antiques et de l’état de la Macédoine
au début du XXe siècle. Vers la même époque,
les travaux de J. G. Droysen ajoutent encore aux connaissances de
ces vestiges, et contribuent beaucoup à ce que soit reconnue
la spécificité historique de la période et de
son art. C. Humann s’était même exclamé : « Nous
avons découvert toute une époque de l’art ».
Les découvertes du XXe
Au XXe siècle, une suite d’équipes d’archéologues
emboîte le pas d’Heuzey en Macédoine. Des stèles
funéraires sont découvertes à Volos dès
les années 1920. En 1937, Constantin Rhomaios entame des fouilles à Vergina,
qui sont relayées par l’équipe de l’archéologue
grec Manolis Andronicos, qui travaille de 1960 à 1982 sur
le site de Vergina, identifié en 1968 comme celui de l’ancienne
capitale de la Macédoine, Aigai. On estime que les tombeaux
excavés sont ceux de la famille royale (Philippe II et sa
famille) ; les peintures de la Tombe d’Eurydice (mobilier en
marbre peint), de la tombe du Prince (quadrige), de la tombe de Philippe
II se révèlent être somptueuses. En 1968, la
Tombe du plongeur à Poseidonia/Paestum, en Italie, est découverte.
D’autres fresques sont trouvées en 1969-70 en Lycie,
et en 1971, la tombe du Jugement Dernier et la tombe de Lyson et
Calliclès à Lefkadia. Dans les années 1980,
se succèdent la découverte, près de l’actuel
Sindos, d’un cimetière de 121 tombes riches et ornées
(suppression nom); celle de tombes à ciste peintes dans les
environs de Thessalonique (Derveni, Haghia Paraskevi, Aineia), à Makrygialos,
Potidée, et Amphipolis ; en 1994, la mise au jour de la tombe
II du tumulus d’Haghios Athanasios, près de Thessalonique
; en 2001, enfin, la découverte à Pella de la « Tombe
des Philosophes ».
Nouveaux regards
Ces tombes conservent des peintures d’une très haute
qualité dues à des artistes qui font preuve d’une
grande maîtrise. Elles viennent confirmer ou infirmer les notions
critiques que Pline avait forgées dans l’Histoire naturelle
XXXV pour penser l’art pictural des peintres hellénistiques
et classiques (…) : audace d’une palette riche et des
contrastes chromatiques forts, mais aussi art de l’illusionnisme,
de l’acribie et du clair-obscur, de la troisième dimension
et du raccourci. En effet, les découvertes récentes
d’art funéraire renouvellent la relation entre œuvres
picturales et textes antiques (« C’est surtout avec les
découvertes de la Macédoine que l’on peut poser
sur des nouvelles bases la question des rapports entre sources littéraires
et documentation archéologique. », Rouveret, 2003).
Ces œuvres macédoniennes sont à mettre en regard
avec la production grecque classique, qui nous est encore pratiquement
inconnue (sauf sous forme d’échos sur support céramique),
et constituent des reflets indirects de la grande peinture, à la
fois monumentale et de chevalet, qui, pour des raisons de conservation,
ne nous sont pas parvenues non plus.
Conséquences en histoire de l’art
Ces découvertes ont rendu obsolète le schéma
vitaliste (essor - apogée - déclin) qu’avait édifié Winckelmann
et invalident définitivement l’idée selon laquelle
l’art après Alexandre n’est qu’une longue
décadence, encore en vigueur, de loin en loin au XXe, et une
histoire de l’art centrée sur Athènes. C’est
justement à partir de ces découvertes macédoniennes
que l’on peut mieux comprendre l’art grec attique ainsi
que l’art hellénistique à la fois dans son ensemble
et dans ses spécificités locales, alexandrine, pergaménienne,
cyrénéenne entre autres : « La définition
des styles locaux et l’étude de leurs interférences
sont une des tâches les plus délicates de l’histoire
de l’art grec actuelle » (B. Holtzmann, 1995) . Cependant,
l’identification d’écoles, de « mains » d’artistes
et a fortiori de « styles », comme l’ont expliqué A.
Rouveret ou H. Brecoulaki, reste à l’heure actuelle
extrêmement délicate. Il semble peut-être plus
pertinent d’étudier le dialogue entre koinè grecque – très
sensible dans le cas de l’art funéraire, qui reproduit à plusieurs
siècles d’intervalles, de Thessalonique à Cyrène,
les mêmes solutions plastiques que celles de l’Attique
du Ve siècle – et adaptations locales. L’étude
de l’art hellénistique a en effet porté les historiens
de l’art à réviser une vision par périodes
successives et centrée sur des cités : l’art
grec apparaît de plus en plus comme un phénomène
polycentrique, multiple, et dont les courants se chevauchent, au
gré des circulations d’artistes, de cartons, de matériaux
(supports lithiques et pigments), et d’œuvres (l’étude
des bateaux grecs et hellénistiques naufragés commence à en
révéler le transport à travers la Mer Méditerranée) – surtout à l’ère
hellénistique, où les colonies grecques sont parfois
très éloignées d’Athènes, en contact
avec des civilisations étrangères, et où c’est
avant tout la polarité des cours qui décide de l’activité des
artistes, selon une dynamique qui, justement, trouve son origine
en Grèce du Nord.
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