|
TETRACHROMIE, MONOCHROMIE |
|
|
|
|
|
|
Chez Pline, le registre de la couleur
est associé aussi bien au « pharmakon », qu’à la
botanique, la minéralogie ou l’histoire de l’art.
Dans le domaine des sciences naturelles, « elle est un critère
de qualité et un principe de classement des matériaux » (V.Naas,
ENS-Paris X, 25.10 02), en particulier des gemmes ; connotée
positivement dans ce contexte, elle contribue à la beauté de
la Nature. Dans l’ordre de la technè picturale, elle tombe
au contraire sous le coup du présupposé moral qui oriente
tout le Livre XXXV de l’Histoire Naturelle : les couleurs sont « une
conséquence de la luxuria… vecteur de luxe et non plus
un élément constitutif des œuvres » (ibid),
l’auteur décrit l’histoire de l’art comme
celle d’une dégénérescence – de l’austérité du
tétrachromatisme à la bigarrure vulgaire, puis à la
substitution de matériaux précieux aux simples pigments.
Monochromie, tétrachromie, multiplicité de couleurs,
Pline fait donc de ces trois formes de peinture trois étapes
de l’évolution de l’art pictural. S’il loue
les quatre grands peintres de l’Antiquité, qui utilisent
les « colores austeri » , c’est pour les opposer
aux peintres de son époque qui emploient des « colores
floridi » et faire l’éloge de la sobriété des
Anciens contre le clinquant de ses contemporains.
|
|
|
|
|
|
|
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §15, 50
Edition Nisard, édition J.J.Dubochet, 1850 |
|
|
|
|
|
§15. Graeci autem
alii Sicyone, alii aput Corinthios repertam, omnes umbra hominis lineis
circumducta, itaque primam talem, secundam singulis coloribus et monochromaton
dictam, postquam operosior inventa erat, duratque talis etiam nunc. |
|
Parmi les Grecs, les uns disent qu’il
fut (cet art) découvert à Sicyone, les autres à Corinthe,
tous convenant que les commencements en furent de circonscrire par
une ligne l’ombre d’un homme ; voilà quel en a été le
premier état. Dans le second, on employaune seule couleur, procédé dit
monochrome, après que des procédés plus compliqués
eurent été découverts ; encore aujourd’hui
la peinture monochrome est en usage.
|
|
|
|
|
|
§ 50. Quattuor coloribus solis immortalia illa opera fecere–ex albis Melino, e silaciis Attico, ex rubris Sinopide Pontica, ex nigris atramento–Apelles, Aetion, Melanthius, Nicomachus, clarissimi pictores, cum tabulae eorum singulae oppidorum venirent opibus. Nunc et purpuris in parietes migrantibus et India conferente fluminum suorum limum, draconum elephantorumque saniem nulla nobilis pictura est. omnia ergo meliora tunc fuere, cum minor copia. |
|
C’est avec quatre couleurs seules, le melinum pour les blancs,
le sil attique pour les jaunes, la sinopis du Pont pour les rouges,
l’atrament ,; pour les noirs, qu’Apelle, Echion, Mélanthius,
Nicomaque, ont exécuté des œuvres immortelles, peintres
si célèbres, dont un seul tableau s’achetait aux
prix des trésors des villes. Aujourd’hui que la pourpre
est employée à peindre les murailles, et que l’Inde
nous envoie le limon de ses fleuves, et le asng de ses dragons et de
ses éléphants, la peinture ne fait plus de chefs-d’oeuvre.
Donc tout a été meilleur quand les ressources étaient
moindres. |
|
|
|
|
|
|
|
|
traduction de Jean-Pierre Croisille,
Belles Lettres, 1985, 4 et 7 lignes |
L.B. Alberti
De Pictura, 1435
De la statue et de la peinture, traités de L.B.Alberti,
|
|
|
|
|
|
§ 46. Veteres pictores Polygnotum et Timanthem quattuor coloribus
tantum usos fuisse, tum Aglaophon simplici colore delectatum admirantur,
ac si in tanto quem putabant esse colorum numero, modicum sit eosdem
optimos pictores tam paucos in usum delegisse, copiosique artificis
putent omnem colorum multitudinem ad opus congenere. (…)
Sic velim pictores eruditi existiment summam indutriam atque artem
in albo tantum et nigro disponendo versari, inque his duobus probe
locandis omne ingenium et diligentiam consummandam.
|
|
Les anciens peintres s’étonnaient
que Polygnote et Timanthe ne se servissent que de quatre couleurs,
et surtout se complût à n’en amployer qu’une
seule. Ils pensaient qu’il était peu modéré que
ces excellents peintres parmi un si grand nombre de couleurs connues,
ne eussent si peu mis en usage ; d’où ils concluaient
que le propre d’un maître fécond est de mettre
en œuvre le plus grand nombre de couleurs possible (…)
mais je voudrais pourtant que les peintres instruits estimassent
qu’on peut apporter une grande industrie et un art considérable
dans la disposition du noir et du blanc seulement, et qu’il
faut déployer une rare intelligence et une parfaite habileté pour
placer convenablement ces deux couleurs.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
traduits par Claudius Popelin, à Paris,
chez Lévy, 1869. |
|
Dans ce passage, qui fait l’éloge
de Dürer, Erasme célèbre le génie propre à Dûrer,
graveur et dessinateur, de faire monter la couleur dans le noir et
blanc ; c’est pourquoi cet artiste l’emporte à ses
yeux sur Apelle, cité ici pour ses talents de coloriste (et
auquel il attribue un défaut de Protogène !) : « si
Apelle vivait aujourd’hui, comme il était un cœur
noble et sincère, il céderait à notre ami Albert
la gloire de remporter cette palme » |
|
|
Erasme, 1528
Cinq dialogues sur la prononciation correcte du grec et du latin |
|
(Ecriture et dessin ; Dürer).
[…] Je reconnais qu’Apelle était le premier de son
art, que les autres artistes ne purent rien lui reprocher, sinon qu’il
ne savait pas lever la main du tableau. Critique spécieuse. Cependant
Apelle était aidé par les couleurs, assez peu nombreuses
et moins écalatantes, mais couleurs ; Dürer, admirable aussi
pour d’autres raisons, sait rendre en monochromie, c’est-à-dire
en traits noirs – que sait-il rendre ! les ombres, la lumière,
l’éclat, les reliefs, les creux ; de plus les aspects multiples
que présente à la vue un seul et même objet selon
la place d’où on le regarde. Il respecte exactement les
symétries et les harmonies […] |
|
|
|
|
|
|
|
Traduction de J.Chomarat, Librairie
Générale Française, 1991,
Œuvres choisies, 10 lignes. |
|
|
|
|
|
Shaftesbury, citant une fois de plus l’Histoire Naturelle de Pline, valorise la simplicité dans l’art, et érige même celle-ci en règle de vie chez les Anciens. A cette simplicité, il oppose la décadence des modernes, à partir de la chute de Rome. C’est un point de vue éminemment éthique de l’art, associé à une perspective néo-platonicienne. |
|
|
Anthony Ashley Cooper, 3rd Earl
of Shaftesbury (1671-1713)
Characteristicks of Men, Manners, Opinions,
Times.
Section III.Volume 1.
|
|
|
|
He shews, on the contrary,
what care Apelles took to subdue the florid Colours, by a darkening
Vanirsh […]. And he says just before, of some of the finest pieces
of Apelles, “That they were wrought in four Colours only.” So
great and venerable was Simplicity held among the Antients, and so
certain was the ruin of all true Elegance in Life or Art, where this
Mistress was once quitted or condemn’d!
|
|
Il montre, au contraire
le soin que prenait Apelle d'atténuer les couleurs florides,
par un vernis assombrissant […] Et il dit juste avant, à propos
de quelques-unes des plus belles œuvres d’Apelle, « qu’elles étaient
composées en quatre couleurs seulement. » La simplicité était
tenue pour si grande et vénérable par les Anciens, et
la ruine de la vraie élégance dans l’art et la
vie était si certaine, une fois que cette maîtresse était
quittée ou abandonnée! |
|
|
|
|
|
|
|
Londres: 1714, p.342.
traduction C. Berget. |
|
|
|
|
|
Johann Heinrich Füssli (1741-1825), par son analyse de la technique picturale de Zeuxis, montre qu’il attache une importance égale au trait, à la couleur, et aux ombres. La technique monochromatique est signalée comme « particulière » à Zeuxis, qu’il met donc en position de fondateur de cette technique. |
|
|
|
|
|
Johann Heinrich Füssli (1741-1825),
Conférence I : De l'art antique
|
|
|
|
Of his colour we know
little, but it is not unreasonable to suppose that it emulated the
beauties and the grandeur of his design ; and that he extended light
and shade to masses, may be implied from his peculiar method of painting
monochroms on a black ground, adding the lights in white. |
|
De son coloris [celui
de Zeuxis] nous savons peu de choses, mais il n’est pas déraisonnable
de supposer qu'il égalait les beautés et la grandeur
de son dessin; et on peut déduire de sa méthode particulière
de peindre des monochromes sur un fond noir, en ajoutant les lumières
en blanc, qu’il étendait la lumière et l’ombre
aux masses. |
|
|
|
|
|
|
|
in Ralph N. Wornum ed., Lectures
on Painting by the Royal Academicians. Barry, Opie, Fuseli
(London:
Bohn, 1848) 359.
traduction originale C. Berget |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|