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CHRONOLOGIES |
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Pline, dans son livre XXXV de l’Histoire
naturelle, présente une sorte d’histoire de l’art,
considérée depuis les travaux de la « Quellenforschung » au
XIXe siècle comme la reprise des idées de Xénocrate sur l’art. Il convient de souligner la nouveauté de
ces idées – Ernst Kriset Otto Kurs disent ainsi dans
L’image de l’artiste « La méthode de Pline
est l’un des ponts jetés entre cette conception originaire
[celle de la tradition biographique] et les écrits historiques
ultérieurs. » - mais il convient aussi de mettre en
avant tout ce qui sépare une écriture moderne de l’ histoire
de l’art et une écriture antique comme celle de Xénocrate.
Ce que donne à voir le livre XXXV, c’est une histoire
de l’art pour ainsi dire mythique ou du moins entée
sur le mythe. Elle s’appuie sur des anecdotes qui participent à l’élaboration
d’une image de l’artiste qui, mythifié, devient
une sorte de héros culturel. Elle est fondée, en effet,
sur l’évocation de grands peintres considérés
comme tels parce qu’ils sont dits les inventeurs de telle ou
telle technique ; « ce classement […] est fortement marqué par
la mentalité agonistique des Grecs et chaque artiste reçoit
la palme pour sa réussite particulière, tel un champion
olympique » (Agnès Rouveret, Histoire et imaginaire
de la peinture antique) . Cette présentation de l’évolution
des techniques picturales ne tient pas compte du caractère
empirique, tâtonnant des processus conduisant à des
innovations techniques. D’autre part, certes, Pline semble
vouloir faire œuvre d’historien lorsqu’il dresse
des généalogies d’artistes, s’attachant à établir
des filiations artistiques entre les peintres précisant que
celui-ci fut l’élève de celui-là, qu’un
tel perfectionna l’invention de tel autre. Mais ce qui compte
pour lui, c’est l’ordre logique des inventions, et non
pas un ordre chronologique. Enfin, il manifeste certes le souci de
rechercher l’origine de la peinture, il adopte une démarche
démonstrative et critique - ou du moins il prétend
le faire ; il cherche à embrasser toute l’évolution
de la peinture, en établissant une chronologie des inventions,
des peintres ; mais l’écriture de son histoire de la
peinture est orientée par deux partis-pris : celui d’une
conception de l’histoire gouvernée par une logique de
progrès, et celui d’une valorisation de l’Ecole
de Sicyone (400-330) – patrie d’adoption de Xénocrate.
Néanmoins, cette histoire de l’art reste la plus riche
et la plus achevée que l’antiquité nous ait laissé .
Pline rappelle d’abord la question de l’origine de la
peinture : il refuse la prétention des Egyptiens à avoir
inventé l’art pictural et affirme que ce sont les Grecs
qui sont à l’origine de cette invention. Il brosse ensuite, à grands
traits, une chronologie des évolutions de l’art pictural.
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Pline (23-79)
Histoire naturelle, Livre XXXV, §15, 16
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De picturae initiis incerta
nec instituti operis quaestio est. Aegyptii sex milibus annorum aput
ipsos inventam, priusquam in Graeciam transiret, adfirmant, vana praedicatione,
ut palam est; Graeci autem alii Sicyone, alii aput Corinthios repertam,
omnes umbra hominis lineis circumducta, itaque primam talem, secundam
singulis coloribus et monochromaton dictam, postquam operosior inventa
erat, duratque talis etiam nunc. Inventam liniarem a Philocle Aegyptio
vel Cleanthe Corinthio primi exercuere Aridices Corinthius et Telephanes
Sicyonius, sine ullo etiamnum hi colore, iam tamen spargentes linias
intus. Ideo et quos pinxere adscribere institutum. Primus inlevit eas
colore testae, ut ferunt, tritae Ecphantus Corinthius. |
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La question des origines
de la peinture est obscure et ne rentre pas dans le plan de cet ouvrage.
Les Égyptiens affirment que cet art fut inventé chez
eux, six mille ans avant de passer en Grèce ; c’est là manifestement
une vaine prétention. Parmi les Grecs les uns disent qu’il
fut découvert à Sicyone, les autres à Corinthe,
mais tous qu’on commença par cerner d’un trait le
contour de l’ombre humaine. Ce fut la première méthode
; la seconde, employant des couleurs isolées, fut dite monochrome
; par la suite on y apporta des perfectionnements, mais elle dure encore
aujourd’hui. |
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traduction d’A. Reinach,
La Peinture ancienne, 1921; Macula 1985.
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L’invention
du dessin au trait est attribuée à Philoclès d’Égypte
ou à Cléanthe de Corinthe. Les premiers qui le pratiquèrent
furent Ardicès de Corinthe et Téléphane de Sicyone
: ces artistes, sans se servir encore d’aucune couleur, jetaient
dès lors des traits dans l’intérieur l’intérieur
du contour ; aussi était-on dans l’usage d’ajouter
le nom du personnage figuré. Le premier qui inventa l’art
de colorier ces desssins, et c’est avec des tessons broyés
de pots d’argile, fut Cléophante de Corinthe. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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Plus loin, Pline rappelle sa volonté de
dresser une doxographie des peintres célèbres, et entreprend
de démontrer la vérité de sa chronologie face à l’inexactitude
de celle des Grecs. En historien, il veut établir la vérité. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §53-54 |
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Nunc celebres in ea arte
quam maxima brevitate percurram, neque enim instituti operis est talis
executio; itaque quosdam vel in transcursu et in aliorum mentione obiter
nominasse satis erit, exceptis operum claritatibus quae et ipsa conveniet
attingi, sive exstant sive intercidere. Non constat sibi in hac parte
Graecorum diligentia multas post olympiadas celebrando pictores quam
statuarios ac toreutas, primumque olympiade LXXXX, cum et Phidian ipsum
initio pictorem fuisse tradatur clipeumque Athenis ab eo pictum, praeterea
in confesso sit LXXX tertia fuisse fratrem eius Panaenum, qui clipeum
intus pinxit Elide Minervae, quam fecerat Colotes, discipulus Phidiae
et ei in faciendo Iove Olympio adiutor. |
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Maintenant je passerai en revue aussi
brièvement que possible les peintres célèbres
; car il n’entre pas dans le plan de mon ouvrage d’en donner
une étude suivie. Il en est qu’il suffira de mentionner
en passant et à propos d’autres ; pour les chefs-d’œuvre
seuls, soit qu’ils subsistent, soit qu’ils aient péri,
il conviendra d’en dire quelques mots. L’exactitude des
Grecs est ici en défaut. Ils ne citent les peintres que plusieurs
olympiades après les sculpteurs et les ciseleurs, pour la première
fois à l’Ol. 90 (420-17). |
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traduction d’A. Reinach, La
Peinture ancienne, 1921; Macula 1985 |
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L’exactitude des Grecs est
ici en défaut : ils n’ont placé les peintres que
plusieurs olympiades après les statuaires et les toreutes. Le
premier peintre qu’ils nomment est de la quatre-vingt-dixième
olympiade ; cependant on rapporte que Phidias lui-même avait
d’abord été peintre, et qu’il peignit à Athènes
l’Olympium ; et l’on convient en outre que, dans la quatre-vingt-troisième
olympiade, son frère Panaenus peignit à Elis l’intérieur
du bouclier de la Minerve faite par Colotès, élève
de Phidias et son aide pour l’exécution du Jupiter Olympien. |
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Édition Nisard, édition J.J.Dubochet, 1850 |
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Pline conçoit l’évolution
de l’art pictural comme tendue vers un progrès linéaire
et continu. L’histoire de l’art raconte ce cheminement
vers le progrès. Pline construit une histoire de l’art
et lui donne un sens. Cette entreprise ne lui est pas particulière,
comme nous le montre l’exemple de Quintilien, rhéteur
latin du Ier siècle après J.-C. , et de son Institution
oratoire. L’histoire de l’art est normative et non pas
objective. Il s’agit moins de décrire le passé que
de l’utiliser à des fins démonstratives : « elle
[l’histoire] sert un dessein et n’hésite pas à rayer
des listes tout artiste qui ne correspond pas à l’esthétique
défendue. »(Agnès Rouveret, Histoire et imaginaire
de la peinture ancienne). Souvent ces textes s’inscrivent dans
la querelle entre orateurs asianistes et atticistes qui trouve son
correspondant en peinture dans la polémique sur les couleurs
austères et florides.
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Pline
Histoire naturelle, Livre XXXV, §60 |
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Autem olympiade fuere
Aglaophon, Cephisodorus, Erillus, Euenor, pater Parrhasii et praeceptor
maximi pictoris, de quo suis annis dicemus, omnes iam inlustres, non
tamen in quibus haerere expositio debeat festinans ad lumina artis,
in quibus primus refulsit Apollo-dorus Atheniensis LXXXXIII olympiade.
Hic primus species exprimere instituit primusque gloriam penicillo
iure contulit. […] Neque ante eum tabula ullius ostenditur, quae
teneat oculos. |
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Dans la quatre-vingt-dixième
olympiade vécurent Aglaophon, Céphisodorus, Herillus,
Evénor, père de Parrhasios et maître d’un
très grand peintre, dont nous parlerons en son temps, de Parrhasios.
Tous ces artistes sont déjà recommandables, non pas assez
toutefois pour que nous devions nous y arrêter dans notre marche
vers ceux qui furent les lumières de l’art. Parmi ces
lumières brilla tout d’abord Apollodore d’Athènes,
dans la quatre-vingt-treizième olympiade. Le premier il sut
rendre la physionomie ; le premier, à juste titre, il contribua à la
gloire du pinceau. […] Il n’y a pas avant lui un tableau
qui puisse attacher les regards. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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