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ANECDOTES
     
  Si les noms de grands peintres grecs de l’antiquité, Zeuxis (Ve siècle), Apelle (IVe siècle, époque alexandrine), … nous sont parvenus, c’est parce que des biographies les ont immortalisés dès cette époque. Elles ont participé à un phénomène de valorisation de l’artiste qui commença au IVe siècle. Auparavant méprisé, l’artiste eut sa place auprès des princes et accéda à la gloire, même si le statut de l’artiste resta tout au long de l’antiquité ambigu. Pline (23-79) fournit, dans son Histoire naturelle, un exemple édifiant de cette pratique biographique. Selon les travaux de la « Quellenforschung » du XIXe siècle, les livres XXXIV et XXXV sont essentiellement une compilation de l’œuvre de Xénocrate, que l’on ne connaît qu’indirectement grâce à des compilateurs tels que Pline. Xénocrate est sans doute à l’origine de cette conception d’une « histoire de l’art fondée sur la personnalité des artistes […] chaque grand artiste apporte sa contribution à la réalisation de ce qui est posé comme un idéal, atteint par l’école de Sicyone aussi bien en sculpture qu’en peinture, avec Lysippe et Apelle ». (Agnès Rouveret, Histoire et imaginaire de la peinture ancienne). Ces biographies qui célèbrent les grands artistes créent une image, une figure typique de l’artiste car elles s’appuient sur l’exploitation récurrente de thèmes qui devinrent vite des topoi : l’artiste vu comme un inventeur, et même un « héros culturel » (Ernst Kris et Otto Kurz, L’image de l’artiste, légende, mythe et magie.), l’artiste rivalisant avec la nature, l’artiste qui travaille main dans la main avec le hasard, l’artiste, génie de la virtuosité. Le livre XXXV de l’ Histoire naturelle, contient de nombreuses anecdotes biographiques qui développent ces thèmes.

Les paragraphes 123 et 124, qui s’intéressent au peintre Pausias (IVe siècle), donnent un exemple de ces biographies. que dresse Pline prend soin de préciser le lieu d’origine de Pausias, sa filiation naturelle et sa filiation artistique, ses productions picturales, des éléments de sa vie personnelle. Il insiste sur la singularité de ce peintre, sur les procédés nouveaux qu’il introduisit dans l’art de la peinture. Ce motif est récurrent dans la présentation des « artistes » et devient même un topos incontournable qui fonde la figure de l’artiste. « Dans l’antiquité classique, l’image du héros culturel prit une place centrale dans l’histoire de la pensée ; un genre littéraire autonome est consacré aux euretas, c’est-à-dire aux les inventeurs de toutes les branches de l’activité humaine. » (Ernst Kris et Otto Kurz, L’image de l’artiste, légende, mythe et magie.)

 
         
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 123-124
   
Pamphilus quoque, Apellis praeceptor, non pinxisse solum encausta, sed etiam docuisse traditur Pausian Sicyonium, primum in hoc genere nobilem. Bryetis filius hic fuit eiusdemque primo discipulus. Pinxit et ipse penicillo parietes Thespiis, cum reficerentur quondam a Polygnoto picti, multumque comparatione superatus existimabatur, quoniam non suo genere certasset. Idem etlacunariaprimuspingere instituit, nec camaras ante eum taliter adornari mos fuit; parvas pingebat tabellas maximeque pueros. Hoc aemuli interpretabantur facere eum, quoniam tarda picturae ratio esset illa. Quam ob rem daturus eiceleritatis famam absolvit uno die tabellam, quae vocata est hemeresios, puero picto.   On assure encore que Pamphile, à qui nous devons les grands progrès du fameux Apelle, son élève, non seulement peignait de cette manière, mais qu’il en donnait même des Leçons, comme du Dessin et de la Peinture ordinaire. On ajoute que Pausias, entre autres, eut le bonheur d’en profiter, lui que chacun savait avoir excellé le premier en ce genre. Il était de Sicyone, fils d’un Peintre nommé Briete, et son élève, par rapport au pinceau seulement, et ensuite de Pamphile, pour les Ouvrages caustiques. De sorte qu’il pratiqua ensuite les deux manières, mais non pas avec un succès égal. Car il peignit les murailles du Temple de Delphes, à la manière ordinaire, c’est-à-dire, avec le pinceau ; mais quand son ouvrage fut achevé, et qu’on en fit la comparaison avec celui de Polygnote, tout le monde donna la palme à ce dernier, en ajoutant, pour consoler l’autre, qu’il n’avait pas choisi la partie qui était son fort, c’est-à-dire, le genre de peinture qu’il possédait le mieux. Apparemment il profita de cet avis, et se borna à la cire et au feu. Car c’est ainsi qu’il commença le premier à décorer les voûtes et les lambris et qu’il en fit venir la mode dans la Grèce ; sans négliger pourtant de faire des Tableaux portatifs dans le même genre. Pour les mieux conserver, il les faisait petits, et pour les rendre plus gracieux, il choisissait ordinairement pour sujets de jeunes enfants, ou des Cupidons. Ce qui fit dire à ses Emules, qu’il ne préférait cette sorte de figure, que parce qu’elle demandent peu de temps, et que par ce moyen, il avait tout le loisir de finir ses pièces ; comme si c’était là un reproche fort redoutable, pour un Peintre, qui connaît la sublimité de son art. Mais pour fermer la bouche à ses Envieux et se procurer encore la réputation d’Artisan habile et expéditif, il se mit en tête de ne mettre qu’un jour à une figure, et en effet il y réussit au gré de ses désirs : ce Tableau, qui représentait un Enfant, fut nommé en sa langue, Emeresios, comme qui dirait, l’Enfant d’une journée.
       
      Édité à Londres, chez Guillaume Bowyer, 1725
         
  Lorsque Pline présente Nicomaque, artiste du IVe siècle av. J.-C., le motif de la singularité du peintre est encore présent.  
         
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §108-109
         
His adnumerari debet et Nicomachus, Aristidis filius ac discipulus. Pinxit raptum Proserpinae, quae tabula fuit in Capitolio in Minervae delubro supra aediculam Iuventatis, et in eodem Capitolio, quam Plancus imperator posuerat, Victoria quadrigam in sublime rapiens. Ulixi primus addidit pilleum [...]Nec fuit alius in ea arte velocior. Tradunt namque conduxisse pingendum ab Aristrato, Sicyoniorum tyranno, quod is faciebat Telesti poetae monimentum praefinito die, intra quem perageretur, nec multo ante venisse, tyranno in poenam accenso, paucisque diebus absolvisse et celeritate et arte mira.   A ceux-ci, joignons encore Nicomaque, fils et disciple d’Aristodeme ; c’est de lui qu’on a eu cet enlèvement de Proserpine, qui était autrefois au Capitole, dans le Chapelle de Minerve, au-dessous du petit temple de la Jeunesse, et qui a péri dans l’incendie du même Capitole ; comme y a péri aussi une autre pièce du même Peintre, qui avait de la beauté. C’était une Victoire, fendant les airs sur un char à quatre chevaux de front, dont le Général Plancus avait fait lui-même la dédicace. Outre cela, il a fait d’autres tableaux, qui sont fort estimés ; comme celui d’Ulysse, par exemple, à la porte du Palais d’Ithaque, lorsqu’il est reconnu par son Chien, qui expire de joie un moment après. Ulysse y paraît en simple paysan, avec un chapeau sur la tête, tel que Minerve l’avait déguisé ; ce qu’aucun Peintre, avant Nicomaque, n’avait osé entreprendre, tant on était habitué à voir Ulysse en habit de héros, la tête nue, avec un casque. […] On a remarqué, au sujet de Nicomaque, que personne n’eut le pinceau plus léger, ni plus expéditif : car ayant fait marché avec Aristrate, Tyran de Sicyone, pour embellir de quelques peintures, le Monument qu’il élevait à la gloire du Poète Télestre, et le finir en un temps marqué, il tarda si fort à se rendre sur les lieux, que le Prince, déjà en colère de tous ces retardements, méditait une vengeance d’éclat, lorsque le Peintre arriva enfin, peu de jours avant le terme, et s’acquitta de sa promesse avec une habileté et une rapidité inimitable.
         
      Édité à Londres, chez Guillaume Bowyer, 1725
       
  Les paragraphes 79 à 83 du livre 35 de l’Histoire Naturelle rapportent l’anecdote dite « de la charis d’Apelle » ; elle met en avant la virtuosité de ce peintre (autre topos de la littérature biographique) en nous racontant comment il rivalisa, avec Protogène (IVe siècle, époque alexandrine), de finesse dans le coup de pinceau.  
       
Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §79 à 83.
   
(extrait 1) Verum omnes prius genitos futurosque postea superavit Apelles Cous olympiade centesima duodecima. Picturae plura solus prope quam ceteri omnes contulit […] Praecipua eius in arte venustas fuit, cum eadem aetate maximi pictores essent; quorum opera cum admiraretur, omnibus conlaudatis deesse illam suam venerem dicebat, quam Graeci c£rita vocant; cetera omnia contigisse, sed hac sola sibi neminem parem […]cum Protogenis opus inmensi laboris ac curae supra modum anxiae miraretur; dixit enim omnia sibi cum illo paria esse aut illi meliora, sed uno se praestare, quod manum de tabula sciret tollere, memorabili praecepto nocere saepe nimiam diligentiam. Fuit autem non minoris simplicitatis quam artis. Melanthio dispositione cedebat, Asclepiodoro de mensuris, hoc est quanto quid a quoque distare deberet.














(extrait 2) Scitum inter Protogenen et eum quod accidit. Ille Rhodi vivebat, quo cum Apelles adnavigasset, avidus cognoscendi opera eius fama tantum sibi cogniti, continuo officinam petiit. Aberat ipse, sedtabulam amplae magnitudinis in machina aptatam una custodiebat anus. Haec foris esse Protogenen respondit interrogavitque, a quo quaesitum diceret. “Ab hoc,” inquit Apelles adreptoque penicillo lineam ex colore duxit summae tenuitatis per tabulam. et reverso Protogeni quae gesta erant anus indicavit. Ferunt artificem protinus contemplatum subtilitatem dixisse Apellen venisse, non cadere in alium tam absolutum opus; ipsumque alio colore tenuiorem lineam in ipsa illa duxisse abeuntemque praecepisse, si redisset ille, ostenderet adiceretque hunc esse quem quaereret. Atque ita evenit. Revertit enim Apelles et vinci erubescens tertio colore lineas secuit nullum relinquens am-plius subtilitati locum. At Protogenes victum se confessus in portum devolavit hospitem quaerens, placuitque sic eam tabulam posteris tradi omnium quidem, sed artificum praecipuo miraculo. Consumptam eam priore incendio Caesaris domus in Palatio audio, spectatam Rhodi ante, spatiose nihil aliud continentem quam lineas visum effugientes, inter egregia multorum opera inani similem et eo ipso allicientem omnique opere nobiliorem.
  (extrait 1) Mais enfin parut au Monde, en la CXII Olympiade, l’incomparable Apelle, natif de l’île de Cos, qui a surpassé tous les Peintres qui l’ont précédés, et tous ceux qui l’ont suivis […]. Le fort don de son pinceau a été la Grâce, comme on l’appelle, c’est-à-dire je ne sais quoi de libre, de noble et doux, en même temps, qui touche le cœur et qui réveille l’esprit : article sur lequel il a laissé bien loin derrière lui tous les Grands Maîtres de son temps, qui n’étaient pas en petit nombre. Car lorsqu’il admirait leurs ouvrages et en faisait l’éloge, il concluait en disant, qu’il n’y manquait que la seule Grâce, comme s’expriment les Grecs, ou la seule Vénus, comme nous parlons nous autres Latins : ajoutant qu’à la vérité ses Confrères, ou ses Emules, excellaient en tous points ; mais qu’à l’égard de celle-là, elle lui était échue en propre, et que personne ne pouvait légitimement lui en disputer la palme. […]
Sur ce qu’on lui faisait regarder, un jour, une pièce excellente de (Protogène) ; où, en effet, il y avait un travail immense, et qui ne pouvait venir que d’une application d’esprit extraordinaire et peut-être excessive, il s’en expliqua de cette sorte : Protogène et moi, nous possédons à peu près, dans un même degré, les diverses parties de la Peinture, et peut-être même, qu’il en sait plus que moi sur bien des choses, que je lui laisse ; mais enfin il y a un article considérable où je l’emporte sur lui, c’est qu’il ne sait pas quitter le pinceau. Paroles mémorables, et d’où nous pouvons recueillir cette maxime de la dernière utilité : c’est qu’il n’y a rien de plus nuisible à nos meilleurs Ouvrages, qu’une exactitude trop rigoureuse, et pour ainsi dire, trop peinée […]

Edité à Londres, chez Guillaume Bowyer, 1725

(extrait 2) On sait ce qui se passa entre Protogène et Apelle. Protogène habitait Rhodes ; Apelle, ayant débarqué dans cette ville, fut avide de connaître les œuvres d’un homme qui ne lui était connu que de réputation. Incontinent, il se rendit à son atelier ; Protogène était absent, mais une planche de grande dimension était préparée sur un chevalet, et il n’y avait là d’autre gardien qu’une vieille femme. Celle-ci répondit que Protogène était sorti et, pour le lui redire, demanda le nom du visiteur. « Le voici », dit Apelle, et, saisissant un pinceau, il traça avec de la couleur en travers de la planche une ligne d’une extrême finesse. Protogène de retour, la vieille lui raconta ce qui s’était passé. L’artiste, dit-on, ayant contemplé la délicatesse du trait déclara que c’était Apelle qui avait dû venir ; nul autre n’était capable d’un travail aussi parfait. Lui-même alors, avec une autre couleur, traça un filet plus mince encore et sortit en recommandant à la vieille, si l’étranger revenait, de le lui faire voir et de lui dire : « voilà celui que vous demandez ». C’est ce qui arriva, Apelle revint et, rougissant d’être surpassé, avec une troisième couleur, il refendit encore les deux lignes par une autre qui ne laissait place à rien de plus fin. Protogène, s’avouant vaincu, vola au port à la recherche de son hôte. Il voulut que l’on conservât telle quelle à la postérité cette planche destinée à faire l’admiration de tous, et surtout des artistes. J’entends dire qu’elle a péri dans le premier incendie qui consuma le palais des Césars sur le Palatin. J’ai vu jadis cette planche ; elle ne contenait rien sur sa vaste surface que des lignes qui échappaient à la vue au milieu de beaucoup d’ouvrages remarquables. Elle paraissait vide, mais par cela même, elle attirait le regard et devint plus célèbre que tout autre morceau.
       
      traduction d’A. Reinach, La Peinture ancienne, 1921; Macula 1985
       
  Le critère fondamental qui permet de juger de la valeur d’une œuvre d’art est, dans l’Antiquité, la ressemblance avec le réel ou mimesis. L’anecdote évoquant la ressemblance parfaite des raisins peints par Zeuxis (fin du Ve siècle av. J.-C.) avec des raisins réels en témoigne (Pline, livre XXXV, § 65). Cette anecdote est sans doute la plus connue. Mais de nombreuses anecdotes racontent le même genre d’histoire : une œuvre est parfaite au point que ce qu’elle représente se confond avec la réalité. « Un étalon tente de couvrir une jument peinte par Apelle (IVe siècle, époque alexandrine); un cheval hennit devant un cheval peint par Apelle, (Pline, Histoire naturelle, Livre XXXV, §95) ; une caille cherche à se mêler au groupe de volatiles peints par Protogénès. Les variantes de ce motif sont nombreuses dans l’Antiquité, et elles fournissent à la modernité un modèle qui sera reconduit. Ainsi une anecdote chez Vasari raconte comment Giotto trompa son maître en peignant une mouche si semblable à une véritable mouche que celui-ci chercha à la chasser de son tableau d’un revers de la main. La récurrence de ce motif - « la représentation est prise pour le modèle naturel » (Ernst Kris et Otto Kurz, L’image de l’artiste, légende, mythe et magie) - montre qu’il est devenu un véritable topos, incontournable lorsque l’on veut faire l’éloge d’un peintre dans une biographie ; il s’agit à chaque fois de souligner le « talent précoce de l’artiste » (ibid). Il ne s’agit pas d’y croire à toute force ; c’est un topos littéraire à visée argumentative, plus que l’évocation d’une réalité artistique. Par ailleurs « le degré de perfection dans l’imitation n’y est pas véritablement évalué mais posé implicitement. L’anecdote se contente d’affirmer que l’œuvre a été prise pour la réalité, que le portait a été confondu avec son modèle. » (ibid)
Une autre anecdote, appelée communément la chimère de Zeuxis, également présente dans le livre XXXV de Pline, précise la nature de la mimesis. Il s’agit certes d’être fidèle à la nature : mais cette fidélité recouvre deux dimensions : la reproduction parfaite des traits de telle façon que puissent être confondus l’objet et sa représentation, et la recherche du Beau : l’objet pictural doit être beau, le plus beau possible. La nature est en effet étroitement associée à l’idée de beauté, reproduire la nature c’est donc aussi chercher à atteindre le Beau. Le Beau devient alors le but ultime de la peinture ; celle-ci acquiert un dimension morale. Il ne s’agit donc pas seulement pour Zeuxis de faire le portait le plus fidèle possible d’une jeune fille, il s’agit surtout de peindre la plus belle jeune fille possible, la jeune fille idéale, le parangon de la jeune fille, en somme, pour parler un langage platonicien, presque l’idée de la jeune fille. Aristote affirme cette finalité de la peinture, en disant dans sa Poétique qu’ «il nous faut imiter les bons peintres de portraits qui, lorsqu’ils veulent reproduire leurs propres traits, lors même qu’ils ne pensent qu’à une exacte ressemblance, se peignent en mieux » Il dit aussi dans Magna moralia, I, 1 : « On juge la vertu au bien qui est sa fin propre ; de même, en peinture, le meilleur copiste n’emportera l’éloge que s’il pose comme son but d’imiter ce qu’il y a de plus beau. » (traduction de Reinach, Macula.). Cicéron (-106 à -43), dans son De inventione (II, 1-3), rapporte également cette anecdote dite la chimère de Zeuxis en la développant davantage . Notons que dans ce cas également, l’histoire, est légèrement différente de celle racontée par Pline, même si elle n’est pas incompatible avec elle conformément au principe de reprise et de modification des anecdotes.
 
         
Pline,
Histoire Naturelle, Livre XXXV, § 64
   
Alioqui tantus diligentia, ut Agragantinis facturus tabulam, quam in templo Iunonis Laciniae publice dicarent, inspexerit virgines eorum nudas et quinque elegerit, ut quod in quaque laudatissimum esset pictura redderet.   Son souci de la précision était si fort que, devant exécuter pour les Agrigentins un tableau destiné à être dédié aux frais de l’Etat dans le temple de Junon Lacinienne, il passa en revue les jeunes filles de la cité, nues et en choisit cinq, afin de reproduire dans sa peinture ce qu’il y avait de plus louable en chacune d’elles.
       
      traduction d’A. Reinach, La Peinture ancienne, 1921; Macula 1985
       
Cicéron,
De Inventione II (1, 2)
   
[…] Les Crotoniates alors, par un décret public, réunirent en un même lieu toutes leurs jeunes vierges, et permirent au peintre de faire son choix parmi elles. Zeuxis en prit cinq ; et plusieurs poètes nous ont transmis les noms de ces femmes déclarées belles au jugement de l’homme qui devait le mieux se connaître en beauté. Cet excellent juge ne croyait donc pas que tous les caractères de la beauté pussent se rencontrer dans un seul modèle ; en effet, la nature ne produit rien de complet dans aucun genre, il semble qu’elle craigne d’épuiser le trésor de ses perfections, en les prodiguant toutes à un seul être ; elle fait toujours acheter ses faveurs par quelque disgrâce.
Et moi aussi, dans le dessein que j’ai formé de tracer les règles de la rhétorique, je ne me suis pas proposé un modèle unique pour en copier servilement tous les traits, qualités ou défauts […].

       
      traduction Paris 1822
       
  Aristide souligne que la reconnaissance à laquelle peut prétendre
l ’artiste, est liée à sa capacité d’imiter la nature, de se poser comme son rival, presque comme un démiourgos (c’est-à-dire un créateur) du fait de sa grande ingéniosité, de sa grande virtuosité.
 
         
Aristide,
Peri tou paraftegmatos, 49, 386
   
  Ecoute aussi cet autre peintre qui, dirais-tu, se vante, mais qui, d’après les gens compétents, se juge seulement à sa valeur. Que dit-il ?: « Ma patrie est Héracleia ; mon nom est Zeuxis ; si quelqu’un dit atteindre les limites de notre art, qu’il le montre et qu’il soit vainqueur. Mais je pense que nos n’aurons pas le second rang. » Et cette épigramme ni lui n’hésita à l’inscrire, ni aucun de ses amis ne lui conseilla de l’effacer, après qu’elle fut faite. […] Ecoute aussi cet autre peintre qui, dirais-tu, se vante, mais qui, d’après les gens compétents, se juge d’Hélène il ajouta en épigraphe ces vers d’Homère : […] comme si c’était la même chose d’avoir fait cette image d’Hélène que pour Zeus de l’avoir engendrée.
       
      traduction d’A. Reinach, La Peinture ancienne, 1921; Macula 1985
       
  Alberti rapporte l’épisode de la Chimère de Zeuxis dans le cadre d’un propos consacré à l’éducation du peintre : « le principe essentiel sera d’emprunter à la nature même » - et non pas de se fier à son « seul talent » :
 
       
L.B. Alberti, 1435
De Pictura
   
§ 56. Prudenter is quidem, nam pictoribus nullo propositio exemplari quod imitentur, ubi ingenio tantum pulchritudinis laudes captare enituntur, facile evenit ut eo labore non quam debent aut quaerunt puchritudinem assequantur.   En vérité, c’était agir sagement. Effectivement, il arrive trop facilement aux peintres qui ne se proposent aucun modèle à imiter, alors qu’ils s’efforcent de saisir la splendeur de la beauté par leur seul génie, de ne pouvoir, quelque travail qu’ils y apportent, atteindre cette beauté qu’ils recherchent.
       
      De la statue et De la peinture, traités de L.B.Alberti, traduits par Claudius Popelin, à Paris,chez Lévy, 1869.
       
Dolce 1557.
Dialogue de la peinture
   
Dialogo della Pittura.
La pittura fu sempre in tutte l’eta havuta in sommo predio da Re, da Imperadori, e da huomini prudentissimi […]. Ella adunque è nobilissima […] Alessandro Magno prezzo si fattamente la mirabile eccelenza di Apelle, ch’ei gli fece dono non pur gioje e di thesori, ma della sua cara amica Campaspe, solo per haver conosciuto, che Apelle, il quale l’haveva rittrata ignuda, se n’era di lei innamorto : liberalità incomparbile e maggiore, che se egli donato gli havesse un Regno.
  La peinture de tous temps a été en grande vénération chez les rois […] Elle est donc très noble […] Alexandre le Grand faisait un si grand cas du mérite extraordinaire d’Apelle, qu’il lui fit présent, non de trésors ou de pierreries, mais bien de sa chère Campaspé, qu’il avait peinte nue ; seulement parce que ce grand Prince reconnut, qu’il en était devenu amoureux : libéralité incomparable, et bien plus noble, que s’il lui eut donné un royaume.
       
  Du récit des anecdotes des raisins de Zeuxis, des chevaux d’Apelle, du rideau de Parrhasios, puis de l’éponge de Protogène, Dolce tire prétexte pour faire l’éloge du « colorito » :
 
       
-Non fu adunque la lode del Pittore, ma del caso.
-Questo serve alla molta cura, che ponevano gli antichi nel colorire, perche le cose loro imitassero il vero. E certo il colorito è di tanta importanza e fforza, che quando il Pittore va imitando bene le tinte e la morbidezza delle carni, e la proprietà di qualunque cosa, fa parer le sue Pitture vive, e tali, che lor non manchino altro, che’l fiato.

  -Francesco Fabrini – Donc ce n’est pas habileté dans le peintre, mais pur hasard ?
-L’Arétin – Cela montre le grand soin qu’avaient les Anciens à bien colorer, afin que leurs ouvrages imitassent le vrai. Il est certain que le coloris est de si grande importance, et a tant de force, que, quand le peintre imite bien les teintes, le tendre des chairs, et la propriété de chaque chose, telle qu’elle soit, il fait paraître ses peintures animées, et telle qu’il ne lui manque plus que la respiration.
       
  Enfin, l’épisode de la Chimère de Zeuxis fournit à Dolce l’illustration de sa conception de la mimesis en peinture, art qui peut surpasser la nature en beauté :
 
       
Deve adunque il pittore procacciar non solo d’imitar, ma superar la natura […] Questo è in dimostrar coll mezzo dell’arte in un corpo solo tutta quella perfezzion di bellezza che la natura non suol dimonstrare a pena in mille […] Onde abbiamolo esempio di Zeusi […].


  Le peintre doit chercher non seulement à imiter, mais à dépasser la nature […] c’est-à-dire à montrer par le moyen de son art, en un corps unique, toute la perfection de la beauté que la nature montre à peine en mille […] Ainsi l’exemple de Zeuxis […]
       
      ***Venise 1735
       
  Dans Laokoon (1766), Lessing se propose de délimiter la place des arts dans la perspective du paragone (la comparaison des deux « sœurs » poésie-peinture), et leur assigner des domaines spécifiques. Dans cet extrait, il dévoile une vision toute winckelmannienne de ce qu’a pu être la mimésis pour les peintres et sculpteurs grecs. La fin de ce passage reprend à son compte le mépris qu’ont pu éprouver les Anciens pour l’ornementation abondante - point de vue à mettre en relation avec la critique platonicienne des apparences, et qui renvoie à la querelle colores austeri / colores floridi.
 
       
Lessing 1766
Laokoon
   
Laokoon, oder über die Grenzen der Malerei und Poesie
Partie I, Chap. 2
4a) [Der griechische] Künstler schilderte nichts als das Schöne; selbst das gemeine Schöne, das Schöne niedrer Gattungen, war nur sein zufälliger Vorwurf, seine Übung, seine Erholung. Die Vollkommenheit des Gegenstandes selbst musste in seinem Werke entzücken; er war zu groß von seinen Betrachtern zu verlangen, dass sie sich mit dem bloßenkalten Vergnügen, welches aus der getroffenen Ähnlichkeit, aus der Erwägung seiner Geschicklichkeit entspringet, begnügen sollten; an seiner Kunst war ihm nichts lieber, dünkte ihm nichts edler, als der Endzweck der Kunst.
Pauson, […] dessen niedriger Geschmack das Fehlerhafte und Häßliche an der menschlichen Bildung am liebsten ausdrückte, lebte in der verächtlichsten Armut. Und Pyreicus, der Barbierstuben, schmutzige Werkstätte, Esel und Küchenkräuter, mit allem dem Fleiße eines niederländischen Künstlers malte, als ob dergleichen Dinge in der Natur so viel Reiz hätten, und so selten zu erblicken wären, bekam den Zunamen des Rhyparographen, des Kotmalers; obgleich der wollüstige Reiche seine Werke mit Gold aufwog, um ihrer Nichtigkeit auch durch diesen eingebildeten Wert zu Hülfe zu kommen.
[Lessing: Laokoon, S. 16. Digitale Bibliothek, S. 67585 (vgl. Lessing-W Bd. 6, S. 18)]
  Laocoon, ou les frontières de la poésie et de la peinture.
4b) L’artiste grec ne représentait rien d’autre que le Beau, et même, dès que le beau semblait être commun, ou d’une espèce inférieure, il ne pouvait être pour lui plus qu’une ébauche faite par hasard, un exercice, une récréation. C’est la perfection de l’objet même qui devait plaire dans son œuvre ; et c’était trop demander au public que de se contenter du maigre plaisir que procure une œuvre ressemblante ou une œuvre où apparaît la seule habileté du peintre. Rien dans son art ne lui était plus cher, rien ne lui semblait plus noble que la fin même de l’art. […]
Ainsi, Pauson, […] que son mauvais goût poussait à représenter le plus volontiers ce que la constitution humaine peut avoir d’imparfait ou de laid, vivait dans la plus grande misère. Et Pyreicus, qui peignait avec le zèle d’un peintre flamand des boutiques de barbiers, des ateliers sales, des ânes et des plantes aromatiques, comme si de tels objets avaient été particulièrement agréables à contempler et difficiles à trouver dans la nature, fut surnommé « Rhyparographe », ce qui signifie ni plus ni moins le « peintre des déchets» - alors même que ce riche vivant dans la luxure s’ingéniait à masquer la vanité de ses œuvres et à en rehausser la valeur en les ornant d’or.
       
      Traduction originale Hélia Paukner
       
  L’anecdote de la Vénus de Cos, dont la chair semble véritable, connaît une fortune littéraire semblable à l’anecdote des raisins de Zeuxis. Elle est ainsi reprise par John Opie (1761-1807), mais aussi par Daniel Webb (1719-1798), et n’est pas sans rappeler l’un des thèmes centraux du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac : la représentation hyperréaliste du corps humain.
Daniel Webb (1719-1798), à la différence de John Opie, préfère citer le texte de Cicéron, pour mettre en évidence le rapport problématique entre la chose représentée et la chose elle-même. Il ne peut y avoir d’équivalence parfaite.
 
       
Daniel Webb (1719-1798),
Dialogue V: Sur la Couleur
   
“The master-piece of this painter [Apelles], and consequently of the art itself, was his Venus anadyomene. Tully thus marks its perfections, “In the Coan Venus, that is not real body, but the resemblance of a body : Nor is that ruddiness, so diffused and blended with white, real blood, but a certain resemblance of blood.”
  « Le chef-d’oeuvre de ce peintre [Apelle], et donc de l’art lui-même, fut sa Vénus Anadyomène. Tullius [Cicéron] en décrit ainsi les perfections , « dans la Vénus de Cos, ce n’est pas un vrai corps, mais la ressemblance d’un corps : cette roseur, si diffuse et mêlée de blanc n’est pas non plus du sang, mais un certaine ressemblance avec le sang .»

       
      in An Inquiry into the Beauties of Painting and into the Merits of the most Celebrated Painters, Ancient and Modern. (London : Dodsley, 1760) 77-78.
traduction originale C.Berget
       
  Ce petit poème de Bürger, qui se veut essentiellement amusant, montre que les modernes n’ont pas perdu le goût des anecdotres de la peinture grecque. On peut peut-être y voir aussi une influence de Winckelmann sur Bürger: la « grandeur sereine » que Bürger attribue à Zeuxis ne rappelle-t-elle pas la définition winckelmannienne de l’esthétique classique ?
 
       
Bürger, 1789
Poésies
   
Die beiden Maler.
Zum Zeuxis prahlt einst Agatharch, ein kleiner,
Fixfingriger, behender Pinselmann:
» So schnell, wie ich, malt wohl so leicht nicht
Einer!« -
» Und ich, hub Zeuxis ruhig an,
Ich rühme mich, daß; ich so langsam malen kann !« -
Und Fingerfix nennt jetzt fast keiner;
Den Zeuxis noch fast Jedermann.
[Bürger: Gedichte [Ausgabe 1789], S. 391. Digitale Bibliothek, S. 7405 (vgl. Bürger-G Bd. 1, S. 240)]

  Les deux peintres.
Agatharche, un jeune peinturlureur aux doigts lestes et habiles
Vint un jour se vanter auprès du grand Zeuxis :
« C’est chose malaisée que de trouver un peintre qui manie le pinceau aussi vite que moi ! »
Et Zeuxis, calme, de répondre: «Je suis fier, quant à moi, de peindre lentement.»
Et voyez donc ! Presque personne ne se souvient aujourd’hui de monsieur doigts-agiles
Alors que Zeuxis, presque tous le connaissent.

       
      Traduction originale H.Paukner
       
John Opie (1761-1807),
Conférence IV : De la Couleur
   
[...] the famous Coan Venus, painted by him, was the admiration of every succeeding age, till the time of Cicero, who marks its perfection in colour as approaching the truth, softness, and warmth of real flesh and blood. The same artist, after this, attempted a second Venus, which was to have exceeded all his former productions ; but dying before he had executed more than the head and breasts, no painter, we are told (such was its superlative excellence), could be prevailed on to attempt its completion   [...] la célèbre Vénus de Cos, peinte par lui [Apelle], suscita l'admiration à toutes les époques jusqu’au temps de Cicéron, qui remarque la perfection de sa couleur, approchant de la vérité, de la douceur et de la chaleur de la vraie chair et du sang. Le même artiste, après cela, entreprit de réaliser une seconde Vénus, qui devait dépasser tout ce qu’il avait déjà fait ; mais, mourant après avoir exécuté la tête et la poitrine seulement, aucun peintre, nous dit-on (tant son excellence était suprême) ne put être persuadé de terminer l'ouvrage.


      in Ralph N. Wornum ed., Lectures on Painting by the Royal Academicians. Barry, Opie, Fuseli (London: Bohn, 1848) 315.
traduction originale C. Berget