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PEINTURE ET SOCIETE |
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L’art pictural
est une activité et une production qui
s’inscrit dans la société, dont la nature et
l’évolution dépendent de la réalité politique
et sociale ; ceci est d’autant plus vrai de l’art grec
que celui-ci est un art de commande. Le IVe siècle, qui voit
la fin de l’existence politique des cités au profit
du système monarchique, constitue un tournant dans l’évolution
de l’art grec. En effet, au Ve siècle, l’entité politique
prédominante est la cité ; l’art grec est alors
un art communautaire tout entier tourné vers elle. « C’est
pour et par la communauté des citoyens que les artistes conçoivent
et exécutent leurs œuvres. C’est donc dans le mouvement
même de la vie communautaire qu’il convient de situer
les divers aspects de l’art grec du Ve siècle. » (Roland
Martin, L’art grec). La cité est le commanditaire presque
exclusif des œuvres d’art : les artistes sont à son
service. L’art est à cette époque un art civique
et religieux ; « Ce sont les nouveaux rapports des hommes avec
les dieux et les relations étroites du citoyen avec la communauté que
les artistes de cette première génération vont
exprimer, tant en sculpture qu’en peinture, tandis que les
architectes portèrent leurs efforts, à la demande de
la polis, sur l’organisation du cadre de la vie civique » (ibid).
Il s’agit pour les cités de construire les plus beaux
monuments, de les parer des plus belles décorations pour assurer
leur prestige et pour rendre hommage aux dieux. L’art est également
un art funéraire même si les tombes des citoyens de
ces cités sont au Ve siècle et même au IVe siècle
beaucoup plus modestes que celles des siècles postérieurs.
On y trouvait de nombreux objets précieux ou familiers, mais
aussi des stèles sculptées ou peintes.
A partir du IVe siècle, la réalité politique
et sociale change : le monde grec n’est plus celui des cités
mais celui de l’empire macédonien. Plusieurs changements
s’opèrent parallèlement dans l’art. Tout
d’abord, l’art grec connaît un essor important
grâce à de nouveaux commanditaires. Le système
politique est celui de la monarchie. Les rois, parce qu’ils
pratiquent une politique d’évergétisme, sont
alors les premiers commanditaires; il s’agit pour eux d’assurer
leur prestige par une politique de faste et de recherche d’un
cadre de vie luxueux. Les rois macédoniens veulent également,
en s’entourant d’artistes grecs et en favorisant leurs
productions, affirmer un hellénisme que leur dénient
les cités grecques. L’art est donc favorisé par
les rois et plus généralement par la nouvelle aristocratie
issue de la cour. Mais il l‘est aussi par les riches particuliers.
La période hellénistique est marquée par une
prospérité économique
grâce
au développement du commerce. Un haute bourgeoisie de commerçants,
de banquiers, de puissants fermiers voit le jour ; « elle accroît
la clientèle que fournissent les cours royales et favorise
le développement de ces multiples ateliers d’art à caractère
commercial, qui fabriquent des copies ou des imitations des grandes œuvres,
pour la décoration des demeures urbaines. »(ibid). L’art
grec n’est donc plus un art communautaire, au service de la
cité. Ses destinataires ne sont plus seulement les dieux,
la cité ou les morts. L’art est aussi fait pour le particulier.
Ce changement de destinataires se répercute sur les productions
picturales : se développe d’une part un art grandiose
commandé par les hauts dignitaires,
et d’autre part un art moins soigné, moins soigné « des
ateliers d’art à caractère commercial » (cf
supra), lié à la démocratisation de l’art. « Dans
un milieu culturel aussi contrasté, les buts et l’inspiration
de la création artistique ne pouvaient qu’être
multiples. La nature des commandes, où les préoccupations
individuelles, décoratives et matérielles, étaient
désormais beaucoup plus importantes que les impulsions religieuses
ou communautaires orientait cette création vers un art utilitaire,
sensible au phénomène de la mode. » (ibid)
Par cette description de la décadence de l’Art suite à la
chute de l’Empire romain, Shaftesbury (1671-1713), avec Pline,
condamne l’utilisation débridée de matériaux
précieux. C’est ainsi la simplicité de la technique
des Anciens qui est soulignée et valorisée. Par l’utilisation
d’un champ lexical de la moralité, Shaftesbury insiste
sur la visée éthique de l’art.
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Anthony Ashley Cooper, 3rd Earl of Shaftesbury (1671-1713),
Characteristicks of Men, Manners, Opinions, Times. Volume 1.
Section III
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“One of the mortal
Symptoms upon which Pliny pronounces the sure Death of this noble Art,
not long survivor to him, was what belong’d in common to all
the other perishing Arts after the Fall of Liberty ; I mean the Luxury
of the Roman Court, and the change of Taste and Manners naturally consequent
to such a Change of Government and Dominion. This excellent, learned,
and polite Critick, represents to us the false Taste springing from
the Court it-self, and from that Opulence, Splendour, and Affectation
of Magnificence and Expence proper to the place. Thus in the Statuary
and Architecture then in vogue, nothing cou’d be admir’d
beside what was costly in the mere Matter or Substance of the Work.
Precious Rock, rich Metal, glittering Stones, and other luscious Ware,
poisonous to Art, came every day more into request, and were impos’d,
as necessary Materials, on the best Masters.” |
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« L’un des symptômes
mortels qui incitent Pline à prédire la mort future de
ce noble art, qui ne devait guère lui survivre, se trouvait être
commun à tous les autres arts frappés de déclin
après la chute de la liberté ; c’est-à-dire
le luxe de la cour romaine, et le changement en matière de goûts
et de manières entraîné naturellement par un tel
changement de gouvernement et de régime. Ce critique excellent, érudit,
et poli nous représente le faux goût qui naît de
la cour elle-même, et de l'opulence, de la splendeur et de l'affectation
de magnificence et de dépense propre à cet endroit. Ainsi,
dans la statuaire et l’architecture alors en vogue rien ne pouvait être
admiré, qui ne soit coûteux de par le sujet ou les matériaux
utilisés pour réaliser les œuvres. Marbres précieux,
riches métaux, joyaux scintillants et autres articles somptueux,
poisons pour l’art, étaient chaque jour plus demandés
et étaient imposés comme matériaux nécessaires
aux meilleurs maîtres. »
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Londres: 1714, p. 341-342.
traduction originale C. Berget
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George Turnbull souligne ici le rôle
public de l’art dans la société grecque antique.
Sans doute influencé par l’approche humaniste civique
de son maître Shaftesbury, il montre un art utilisé par
les élites pour promouvoir les valeurs de la société grecque
(le sacrifice pour la patrie notamment). |
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George Turnbull (1698-1748),
A Treatise on Ancient Painting, chapitre 6
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In funeral Ceremonies
the Badges or Ensigns of the publick Employments any one had filled
were display’d. And can we imagine a nobler Spectacle than a
young Man proclaiming the due Praises of Virtue, Merit, and publick
Services? Must not the Sight of those Images of Persons thus glorify’d
by their Virtues, have awaken’d and inflam’d every one
with ardent, generous, heroick Sentiments ans Resolutions. By this
practice the Sense of Honour was kept lively and vigorous ; and the
Youth were fired with an Ambition able to incite to great Atchievements,
able to undergo any hardship, or forgo any Pleasure for the publick
Good. ‘Tis plain from several Passages of the ancient Authors,
that such Images were amongst the old Romans, their Titles or Patents
of Nobility. Amongst the Greeks sepulchral Monuments were either adorned
with Bas-reliefs or painted. Pausanias and other Authors mention many
that were painted; and this was also a practice among the Romans, for
several such Monuments are yet to be seen at Rome, and about Baiae
and Cumae.
The Antiquarians have been often puzzled to find out the reason
why the Mausolea, Sarcophagi, sepulchral and other funeral Monuments
are often adorn’d with Representations of Vintages, Huntings,
Festivals, and such gay Subjects. But ‘tis worth observing
that the ancient Greeks and Romans instead of adding artificially
to the natural Horrors of Death, took all pains on the contrary to
allay that Dread. This at least is certain, that they took care to
make Death in the Service of the Publick desirable and glorious.
Amongst the Greeks, the Pictures and Statues of great Men, and in
memory of their great Deeds, were placed in the Temples amidst the
Images of their Gods, and Pictures and Sculptures representing religious
Rites and Customs. In the Temples were likewise Pictures recommending
the Virtues, and pointing out the Errors and Miseries into which
Ignorance and false Pleasure mislead. This is evident from one Example
out of many that might be brought : The famous allegorical Picture
in the Temple of Saturn, described at large by Cebes, commonly called
his Table. This is a charming allegorical Picture of human Life,
and sufficiently shews us what fine Notions the ancient Philosophers
in the Age of Socrates, had of the use that might be made of Painting
to instruct in the profoundest Doctrines of Morality.
[…]
One thing however which I have not hitherto had occasion to remark,
is worth our attention : The Symbols in ancient Allegory, by which
the Affectations of the Mind, the Virtues, and the Vices are represented,
are well known to the Learned ; they make a fix’d determinate
Language, from which when Painters depart, they speak an unknown
Tongue, to which there can be no Key, unless they give us a Dictionary
for explaining their capricious Inventions. Rubens is justly blamed
for mixing Allegory with History ; two Subjects that ought to be
kept distinct from one another ; and not only for mixing profane
Theology with Christianity, but for inventing in Allegory, and
not conforming himself to the ancient known Language or Symbols.
Such moral Pictures had place in the Porticoes and Schools where
the Philosophers taught. For all the Schools, Academies, and Places
of Exercise amongst the ancient Greeks were adorned with Pictures
proper to them ; and that often furnish’d the Philosophers
with very suitable Arguments for moral Lessons.
[…]
That in Schools of the Liberal Arts were plac’d the Statues
of the nine Muses and Apollo, might be prove’d by many Authorities
: And that the famous Philosophers were represented in these is plain,
since it was become a Proverb ; Qui nunquam Philosophum pictum viderunt.
Sidonius Apollinaris gives us an Account of the Pictures of Philosophers
in the Gymnasia subsisting in his time : And Pliny mentions several
Artists that were famous for doing Philosophers only.
Pausanias tells us, that there were in all the Cities of Greece,
certain Places design’d for Assemblies of the Learned and Ingenious
for Conversation, and that these were adorn’d with Pictures,
Statues and Sculptures.
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Dans les cérémonies
funéraires, les insignes et les emblèmes correspondant
aux emplois publics remplis par le défunt étaient exhibés.
Et peut-on imaginer spectacle plus noble que celui d’un jeune
homme proclamant les louanges que l’on doit à la vertu,
au mérite et au service public ? Est-ce que la vue de ces images
de personnes ainsi glorifiées par leur vertus n’ont pas
réveillé et enflammé chacun de sentiments et de
résolutions ardents, généreux et héroïques
? Cette pratique entretenait toute la vivacité et la vigueur
du sens de l'honneur et les jeunes gens étaient animés
d’une ambition capable de les pousser aux réalisations
les plus grandes, de se confronter à tous les obstacles, ou
de renoncer à tout plaisir pour le seul bien public. Plusieurs
passages d'auteurs anciens montrent clairement que de telles images étaient,
chez les anciens romains, leurs titres ou quartiers de noblesse. Chez
les Grecs, les monuments funéraires étaient ornés
soit de bas-reliefs soit peints. Pausanias entre autres, en mentionne
de nombreux qui étaient peints, et c’était aussi
une pratique chez les Romains, car plusieurs monuments de cette sorte
peuvent toujours être vus à Rome et vers Baïes et
Cumes.
Les amateurs d'antiquités ont souvent été déconcertés
en essayant de comprendre pourquoi les mausolées, les sarcophages,
les sépulcres, et autres monuments funéraires étaient
souvent ornés avec des représentations de vendanges,
des scènes de chasse, des fêtes et autres sujets gais.
Mais il convient d’observer que les anciens Grecs et Romains,
au lieu d’augmenter par le biais de l’artifice, aux horreurs
naturelles de la mort, prenaient un grand soin de soulager cette
frayeur. Ceci, du moins, est certain, qu’ils prenaient garde
de rendre la mort pour le service du bien public désirable
et glorieuse.
Chez les Grecs, les peintures et les statues des grands hommes étaient
placées en mémoire de leurs hauts faits dans les temples
au milieu des images de leurs dieux, des tableaux et des sculptures
représentant des rites religieux et des coutumes. Dans les
temples, on mettait de même des peintures exhortant à la
vertu, et dénonçant les erreurs et les misères
auxquelles conduisent l’ignorance et les faux plaisirs. Ceci
est évident dans l’un des exemples parmi les nombreux
qui existent : le célèbre tableau allégorique
du temple de Saturne, décrit amplement par Cebes, qu’on
appelle communément sa table. C’est une charmante allégorie
de la vie humaine, et il nous montre la conception assez fine que
les philosophes anciens de l’époque de Socrate se faisaient
de l’usage de la peinture pour enseigner les doctrines morales
les plus fondamentales. […]
Une chose cependant, dont je n’ai pas eu l’occasion
de faire la remarque jusqu’ici, mérite notre attention
: les symboles utilisés dans les allégories anciennes,
par lesquels les affections de l’esprit, les vertus et les
vices sont représentés, sont bien connus des lettrés
; ils constituent un langage aux règles bien établies
et lorsque les peintres s'en éloignent, ils parlent alors
une langue étrangère dont on ne connaît pas la
clé, à moins qu’ils nous donnent un dictionnaire
pour expliquer leurs inventions capricieuses. On reproche avec raison à Rubens
de mélanger allégorie et histoire, deux sujets qui
devraient être distingués l’un de l’autre
; et pas seulement de mélanger théologie profane et
chrétienté, mais encore d’inventer en matière
d’allégorie, et de ne pas se conformer à l’ancien
langage connu ou aux symboles. De telles peintures morales trouvaient
place dans les portiques et les écoles où les philosophes
enseignaient. Car toutes les écoles, les académies,
et les endroits d’exercice chez les anciens Grecs, étaient
ornés de peintures qui leur étaient propres ; elles
fournissaient souvent aux philosophes des argument très adaptés à des
leçons morales. […]
De nombreuses autorités peuvent prouver que dans les écoles
des arts libéraux on trouvait les statues des neufs muses
et d’Apollon : et il est évident que les philosophes étaient
aussi représentés, car cela est même devenu proverbial
: Qui nunquam philosophum pictum viderunt. Sidonius Apollinaris nous
donne une description des peintures des philosophes dans le "gymnasia" qui
subsistent à son époque : et Pline mentionne plusieurs
artistes qui étaient réputés pour ne peindre
que des philosophes.
Pausanias nous dit qu’il y avait dans toutes les cités
grecques, des endroits prévus pour accueillir les discussions
les lettrés et ceux qui pratiquaient l'art de la conversation;
et que ces lieux étaient ornés de peintures, de statues
et de sculptures.
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London: Millar, 1740, 117-118.
traduction
C. Berget. |
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Usages de la peinture.
Les
usages que le monde grec fait de l’art pictural sont multiples.
Ils ont varié au cours des temps et se sont diffusés,
notamment dans le monde romain. Cette multiplicité des usages
de la peinture est observable dans la multiplicité des supports
qu’elle adopte : statues en marbre et en calcaire, figurines
en terre cuite, stèles,
navires, parois murales, tableaux de chevalet.
Pline rapporte quelques uns de ces usages dans son Histoire naturelle.
Il évoque par exemple à plusieurs reprises la peinture
des bateaux, fréquente dans l’Antiquité : « Dès
l’époque homérique on badigeonnait au vermillon
les flancs des navires et les plus anciens vases peints montrent
déjà les proues ornées d’yeux ou d’autres
motifs ; toute une série d’emblèmes de la flotte
des Achéens est décrite par Euripide (480- 406 av.
J.-C.), dans Iphigénie à Aulis » (A.Reinach,
La peinture ancienne, note d’Agnès Rouveret, Macula).
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §49 |
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Cerae tinguntur isdem
his coloribus ad eas picturas, quae inuruntur, alieno parietibus genere,
sed classibus familiari, iam vero et onerariis navibus, quoniam et
pericula expingimus, ne quis miretur et rogos pingi, iuvatque pugnaturos
ad mortem aut certe caedem speciose vehi.
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On teint les cires avec
ces mêmes couleurs pour les peintures à l’encaustique.
Cela ne peut se pratiquer sur les murailles ; mais cela est commun
sur les vaisseaux de guerre, et même, à présent,
sur les bâtiments de transport. En effet, nous décorons
ces dangereux véhicules : qu’on ne s’étonne
donc pas si nous peignons aussi les bûchers, et si nous y faisons
conduire, dans des chars pompeux, des gladiateurs qui vont à la
mort ou du moins au carnage. A la vue de cette variété de
tant de couleurs, on se complaît à admirer l’antiquité. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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« La peinture décorative
apparaît de bonne heure comme ornement pariétal ou total
de l’intérieur des temples et des portiques. Pour les
décors de théâtre on peut remonter au milieu du
Ve siècle avec Agatharchos ; c’est aussi le premier peintre
dont on sache qu’il ait décoré une maison particulière.
Avec Pausias, au milieu du IVe siècle on commence à peindre
les plafonds comme les murs ; au siècle suivant, les tombes
peintes se répandent dans tout le monde gréco-romain. » (Reinach,
La peinture ancienne, Macula.) Pétrone (Ier siècle ap.
J.-C.), dans le Satiricon, témoigne de cet usage de la peinture,
dans le monde romain ; celui-ci a , en effet, hérité de
la conception de la peinture comme décor qui s’est répandue
au IVe siècle dans le monde grec. Le caractère satirique
de cette ekphrasis, qui stigmatise le mauvais goût des parvenus
incarné par Trimalcion, est clairement annoncé par son
incipit : les couleurs criardes, le luxe déplacé d'objets
triviaux, annonce le grotesque de la prétention à l' « épique » de
l'ancien esclave ; de façon très significative, la critique
se trouve ici associée à une évocation de la facture
en trompe-l'œil des peintures, au
ridicule prétentieux de la représentation. |
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Pétrone (Ier siècle
ap. J.-C.),
Satyricon, §29
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[…] In aditu autem
ipso stabat ostiarius prasinatus, cerasino succinctus cingulo, atque
in lance argentea pisum purgabat. super limen autem cavea pendebat
aurea, in qua pica varia intrantes salutabat.
Ceterum ego dum omnia stupeo, paene resupinatus crura mea fregi. Ad
sinistram enim intrantibus non longe ab ostiarii cella canis ingens,
catena vinctus, in pariete erat pictus superque quadrata littera scriptum
'cave canem'. Et collegae quidem mei riserunt, ego autem
collecto spiritu non destiti totum parietem persequi. Erat autem venalicium
cum titulis pictum, et ipse Trimalchio capillatus caduceum tenebat
Minervaque ducente Romam intrabat. Hinc quemadmodum ratiocinari didicisset
deinque dispensator factus esset, omnia diligenter curiosus pictor
cum inscriptione reddiderat. In deficiente vero iam porticu levatum
mento in tribunal excelsum Mercurius rapiebat. Praesto erat Fortuna
cum cornu abundanti et tres Parcae aurea pensa torquentes. Notavi etiam
in porticu gregem cursorum cum magistrose exercentem. […] Interrogare
ergo atriensem coepi, quas in medio picturas haberent. 'Iliada et Odyssian'
inquit 'ac Laenatis gladiatorium munus'.
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[[…] à l’entrée
se tenait le potier, vêtu de vert avec une ceinture cerise, qui épluchait
des pois dans un plat d’argent. Au-dessus du seuil pendait une
cage d’or où était une pie au plumage multicolore,
qui saluait les arrivants.
Quant à moi, j’admirais bouche-bée, quand, sursautant
de peur, je faillis me rompre les jambes. A gauche de l’entrée,
non loin de la loge du portier, un énorme chien tirait sur sa
chaîne. Au-dessus de lui était écrit en lettres
capitales : Gare, gare au chien. Vérification faite, ce n’était
qu’une peinture sur la muraille.
Mes compagnons se moquaient de ma frayeur. Mais, ayant recouvré mes
esprits, je n’avais d’yeux que pour les fresques qui ornaient
le mur : un marché d’esclaves, avec leurs titres au cou,
et Trimalcion lui-même, les cheveux flottants, portant le caducée,
entrant à Rome conduit par Minerve. Ici on lui apprenait le
calcul. Là il devenait trésorier : le peintre avait méticuleusement
expliqué toutes choses par des inscriptions détaillées.
Au bout du portique, Mercure enlevait Trimalcion par le menton, pour
le porter sur un tribunal élevé. A ses côtés
se tenait la Fortune, munie d’une copieuse corne d’abondance,
et les trois Parques, filant sa vie sur des quenouilles d’or.
Je remarquai aussi une troupe d’esclaves s’exerçant à la
course sous la direction d’un maître. […] J’allai
demander au portier quelles peintures tenaient le milieu du portique
: L’Iliade et l’Odyssée, dit-il, et sur la gauche,
vous voyez un combat de gladiateurs ».
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traduction de Louis de Langle, Paris, Bibliothèque des curieux, 1923 |
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La peinture décorative n’est
pas propre à la culture romaine de l’époque de
Pline (cf supra). C’est donc un jugement tout à fait personnel
et qui s’appuie davantage sur des critères moraux qu’esthétiques
que prononce Pline lorsqu’il évoque les peintures murales
qui décorent les intérieurs ; il critique en effet deux
aspects de l’art pictural de son époque qu’il oppose à celui
des grands peintres : il dévalorise la peinture murale au profit
de la peinture de chevalet, et refuse l’usage particulier et
privé de la peinture (les décors intérieurs) qu’il
oppose à l’ art mobilisé pour la cité. Aux
yeux de Pline, le grand art pictural, c’est le tableau.
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 118.
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Sed nulla gloria artificum
est nisi qui tabulas pinxere. Eo venerabilior antiquitatis prudentia
apparet. non enim parietes excolebant dominis tantum nec domos uno
in loco mansuras, quae ex incendiis rapi non possent. casa Protogenes
contentus erat in hortulo suo; nulla in Apellis tectoriis pictura erat
nondum libebat parietes totos tinguere; omnium eorum ars urbibus excubabat,
pictorque res communis terrarum erat. |
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Mais il n’y a
de gloire que pour les artistes qui ont peint des tableaux, et c’est
ce qui rend encore plus respectable la prudence de l’antiquité.
En effet, alors les murs et les maisons ne s’ornaient pas pour
les seuls possesseurs, de peintures qui fixées en un lieu ne
pouvaient être sauvées d’un incendie. Protogène
se contentait d’une cabane dans son jardin ; il n’y avait
point de peinture sur les crépis d’Apelle ; on ne s’était
pas avisé de peindre des murailles entières. Chez tous
ces artistes l’art ne veillait que pour les villes, et un peintre
appartenait à toute la terre.
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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Ces extraits nous font clairement
comprendre de quels enjeux politiques la peinture d’histoire était
parfois chargée dans la Rome antique ; le portrait colossal
de Néron, par exemple, est un acte de pure propagande, que le
ciel se chargera de châtier !
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Pline,
Histoire Naturelle Livre XXXV,§ 50, 51.
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§ 50. J’ai
dit que la Peinture fut assez estimée à Rome, du temps
de Fabius ; cependant elle y acquit encore plus d’honneur, dans
la suite, lorsque Valérius Maximus Messala ayant défait
les Carthaginois, en exposa la bataille, dans un Tableau , sur un des
côtés du Palais Hostilien, l’an de Rome CCCCXC ;
et c’est le premier ouvrage de cette sorte, c’est-à-dire
consacré publiquement, dont notre Histoire fait mention […].
Hostilius Mancinus […]. renvoyé à Rome par Scipion
même, qui lui avait amené un successeur, il eut la hardiesse,
de retour dans sa patrie, d’exposer le tableau de cette irruption,
avec les circonstances dont elle avait été accompagnée,
en indiquant lui-même au Peuple, les lieux, les situations, et
les diverses attaques essuyées par les assiégés
[...]. Enfin, après toutes ces Peintures, on admira beaucoup
dans Rome cette belle Décoration de Théâtre, qui
parut aux jeux de Claudius Pulcher, surtout quand on vit des corbeaux
s’en approcher, pour se reposer sur les tuiles apparentes que
le Peintre y avait représentées. |
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Edité à Londres, chez Guillaume
Bowyer, 1725 |
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§ 51 - Et nostrae
aetatis insaniam in pictura non omittam. Nero princeps iusserat colosseum
se pingi CXX pedum linteo, incognitum ad hoc tempus. Ea pictura, cum
peracta esset in Maianis hortis, accensa fulmine cum optima hortorum
parte conflagravit. Libertus eius, cum
daret Anti munus gladiatorium, publicas porticus occupavit pictura,
ut constat, gladiatorum ministrorumque omnium veris imaginibus redditis. |
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Je ne saurais passer
sous silence la folie à laquelle notre époque est arrivée
en fait de peinture. L’empereur Néron avait ordonné de
peindre de lui une image colossale, haute de 120 pieds, sur toile,
ce qui n’avait jamais été fait jusqu’alors.
Quand cette peinture fut achevée, elle fut frappée de
la foudre dans les jardins de Maïus et brûla avec la meilleure
partie des jardins. Quand un de ses affranchis donna à Antium
des jeux de gladiateurs, il peupla, assure-t-on, les portiques publics
d’une peinture où tous les gladiateurs et appariteurs étaient
représentés grandeur naturelle. |
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traduction d’A. Reinach, La
Peinture ancienne, 1921; Macula 1985 |
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galeries et expositions
Les
tableaux étaient souvent « exposés en public
avant d’être mis dans leur emplacement définitif
; on pouvait les voir dans l’atelier du peintre ou dans un édifice
public. De bonne heure, on affecta aux tableaux des maîtres
des galeries spéciales dites Pinacothèques (par exemple,
les Propylées d’Athènes), pour lesquelles, à défaut
des originaux, on faisait exécuter des copies. Sans porter
ce nom certains portiques, tel celui d’Octavie, furent de véritables
Musées » (Reinach, La peinture ancienne, Macula). De
nombreux textes témoignent de ces pratiques, comme le Satyricon
de Pétrone (§ 83), ou La Galerie de tableaux de Philostrate. |
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Philostrate,
La Galerie de tableaux, Introduction. |
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Je logeais alors en
dehors des murs dans un faubourg bâti sur la côte, et où s’élevait
un portique à quatre ou cinq étages, qui avait vue sur
la mer Tyrrhénienne. Revêtu des plus beaux marbres que
recherche le luxe, il tirait son principal éclat des tableaux
encastrés dans ses murs, et choisis, comme il me le semblait,
avec un soin tout particulier. |
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traduction de A. Bougot, révisée
par F. Lissarrague,
Belles Lettres, 5 lignes. |
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Pline,
Histoire Naturelle, extraits.
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(images des Hommes illustres dans les Bibliothèques)
Et puisque nous en sommes sur les Images, il ne faut pas oublier une
pratique, qui est encore assez nouvelle parmi nous ; je veux parler
de cet ornement, qu’on donne depuis peu à nos Bibliothèques,
soit publiques, soit particulières. […] C’est à Asinus
Pöllion, à qui nous devons le premier exemple de ce grand
embellissement à nos Bibliothèques, puisqu’en formant
la sienne, dans Rome, pour l’usage du public, il y plaça,
dans un Vestibule très magnifique, les Auteurs mêmes,
dont les Ouvrages y étaient consacrés.
[…] Ce qu’il y a de certain, et qui fait beaucoup d’honneur à notre
Ville, c’est que la passion des Têtes illustres y a été fort
grande dans le bon temps. […]
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Edité à Londres, chez Guillaume
Bowyer, 1725 |
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L.B. Alberti
De Pictura, 1435 |
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§ 28. Ingens namque
fuit et pictorum et sculptorum illis temporiibus turba, cum et principes
et plebei et docti atque indocti pictura delectabantur, cumque inter
primas ex provinciis praedas signa et tabulas in theatris exponebant
[...]
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La foule des peintres
et des sculpteurs devait être grande en ces temps où les
princes et les plébéiens, les doctes et les ignorants
se délectaient de peinture. Alors on exposait sur les théâtres,
parmi les plus précieuses dépouilles des provinces, des
statues et des tableaux. |
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De la statue et De la peinture,
traités
de L.B.Alberti,
traduits par Claudius Popelin, à Paris,chez
Lévy, 1869. |
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portraits
La production de portraits
connaît un essor véritable
au IVe siècle « lorsque l’individu et ses sentiments
commencent à être pris en considération par la
société et la pensée grecques » (Bernard
Holtzmann et Alain Pasquier, L’art grec). Cet art concerne
d’abord les rois, les hommes politiques, mais il se développe
tellement que dès la fin de l’époque hellénistique,
il concerne aussi bien les simples particuliers. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 88 |
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Imagines adeo similitudinis
indiscretae pinxit, ut –incredibile dictu– Apio grammaticus
scriptum reliquerit, quendam ex facie hominum divinantem, quos metoposcopos
vocant, ex iis dixisse aut futurae mortis annos aut praeteritae vitae.
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Outre les grands talents,
dont nous avons parlé ci-dessus, il [Apelle] avait encore l’imagination
si vive et si nette, et la main si juste, qu’il attrapait la
ressemblance, au-dessus de tout ce qu’on avait vu jusqu’alors,
et d’une manière, si l’on peut dire, individuelle.
Jamais pinceau n’a été plus vrai. Apion, le Grammairien,
nous rapporte comme un fait assuré, qu’un de ces Devins,
ou Physionomistes de la Grèce, qui gagnaient leur vie à dire
la bonne aventure sur les traits et l’air du visage des personnes,
avait deviné, sur les portraits d’Apelle, l’année
mortuaire des Originaux, à lui inconnus, soit qu’ils fussent
déjà morts, soit qu’ils fussent encore en vie. |
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édité à Londres, chez Guillaume
Bowyer, 1725 |
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Il [Apelle] peignit
des portraits d’une ressemblance si extraordinaire qu’Apion
le grammairien – fait incroyable à rapporter – a
laissé un opuscule où il affirme qu’une de ces
personnes qui prédisent l’avenir d’après
le visage des gens et que l’on appelle « metoposcopoi, » indiquait
d’après ces portraits le nombre d’années
restant avant la mort du sujet, ou encore combien de temps ce dernier
avait vécu. |
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traduction de JM. Croisille, édition
Belles Lettres, 4 lignes. |
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Pline évoque dans son Histoire
naturelle « cette culture du portrait [qui] plonge ses racines
dans la culture de la koinè des IVe et IIIe siècles avant
J.-C. et [qui] produit dès cette époque, des œuvres
très élaborées dans la peinture comme dans la
sculpture en bronze. Prenant appui sur les recherches grecques en matière
de physiognomonie, l’art du portait s’inscrit en effet
dans l’exaltation des lignages, liées à Rome au
droit des portraits (ius imaginum), privilège de la noblesse
patricienne puis patricio-plébéienne » (Agnès
Rouveret, Rome et l’Italie jusqu’à la fin de la
République.) Les portraits rappellent l’existence de générations
antérieures et donnent corps à travers les âges à la
lignée familiale. La peinture a pour but de remédier à l’usure
du temps, de donner une mémoire, et donc une unité aux
familles. Conformément à sa logique d’opposition
d’un passé glorieux à un présent de décadence,
Pline déplore la disparition de cette tradition du portrait
telle qu’elle était respectée du temps de ses ancêtres.
Il critique la préférence que l’on donne à son époque
au portrait des grands hommes ou de ceux que l’on prétend
tels au détriment du portrait du particulier nécessaire
pour les cérémonies funéraires.
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §4 à 9 |
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Imaginum quidem pictura,
qua maxime similes in aevum propagabantur figurae, in totum exolevit.
Aerei ponuntur clipei argentea facie, surdo figurarum discrimine; [...]
adeo materiam conspici malunt omnes quam se nosci. Et inter haec pinacothecas
veteribus tabulis consuunt alienasque effigies colunt,[…] iidem
palaestras athletarum imaginibus et ceromata sua exornant, […]
ita est profecto: artes desidia perdidit, et quoniam animorum imagines
non sunt, negleguntur etiam corporum. […]
Non est praetereundum et novicium inventum, siquidem non ex auro argentove, at
certe ex aere in bibliothecis dicantur illis, quorum inmortales animae in locis
iisdem locuntur, quin immo etiam quae non sunt finguntur, pariuntque desideria
non traditos vultus, sicut in omero
evenit. Asini Pollionis hoc Romae inventum, qui primus bibliothecam dicando ingenia
hominum rem publicam fecit. […]imaginum amorem flagrasse quondam [ testes
sunt Atticus ille Ciceronis edito de iis volumine, M. Varro ] […]
Aliter apud maiores in atriis haec erant, quae spectarentur; non signa externorum
artificum nec aera aut marmora: expressi cera vultus singulis disponebantur
armariis, ut essent imagines, quae comitarentur gentilicia funera, semperque
defuncto aliquo totus aderat familiae eius qui umquam fuerat populus. Stemmata
vero lineis discurrebant ad imagines pictas. |
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Autrefois on se servait, à Rome,
des figures de Cire, artistement coloriées, pour conserver et
pour multiplier même, dans tous les siècles, une vive
ressemblance des personnes illustres. Mais tout cela n’est plus
aujourd’hui du bel usage. Au lieu d’une si belle institution,
on leur élève aujourd’hui des Boucliers d’or,
ou des Bustes d’argent, où les traits, assez mal rendus,
ne nous rappellent qu’imparfaitement les Originaux […].
On n’a plus de goût, que pour les figures de grand prix
; et telle est la folie de la plupart des hommes, qu’ils aiment
mieux attirer les regards du public par la richesse de la matière,
que par la vivacité et la ressemblance de leurs propres traits.
Et cependant, au milieu de ce culte trompeur, ils ne se lassent pas
de remplir leurs Cabinets d’anciens tableaux, et d’y rendre
une espèce de culte aux bustes des Grands-Hommes […].
Autre folie, on décore nos Palestres et nos Académies
des Images ou des portraits des plus fameux Lutteurs […]. En
vérité, on a bien raison de le dire, la Mollesse et
la Débauche ont fait tomber les Beaux-Arts, et depuis qu’on
ne voit plus, parmi nous, d’Image d’une âme grande,
on a commencé à négliger la vraie représentation
des corps. Il en allait autrement chez nos Pères, où,
avec toute sa simplicité, le Vestibule avait de quoi occuper
utilement le Spectateur.
Et puisque nous en sommes sur les Images, il ne faut pas oublier
une pratique, qui est encore assez nouvelle parmi nous ; je veux
parler de cet ornement, qu’on donne depuis peu à nos
Bibliothèques, soit publiques, soit particulières.
Car non content d’y consacrer en or, ou en argent, ou du moins
en cuivre, les bustes de ces hommes illustres, dont les plus, dont
les âmes immortelles y parlent encore ; on va même, pour
les y placer tous, jusqu’à inventer les traits que l’on
n’a plus, ou que l’on n’a jamais eus, surtout à l’égard
des Héros, ou des Auteurs de premier ordre : ce qui ne peut
qu’irriter nos désirs de connaître leurs traits
véritables ; comme il est arrivé à l’égard
d’Homère. […] C’est à Asinus Pöllion, à qui
nous devons le premier exemple de ce grand embellissement à nos
bibliothèques, puisqu’en formant la sienne, dans Rome,
pour l’usage du public, il y plaça, dans un Vestibule
très magnifique, les Auteurs mêmes, dont les Ouvrages
y étaient consacrés.
[…] Ce qu’il y a de certain, et qui fait beaucoup d’honneur à notre
Ville, c’est que la passion des Têtes illustres y a été fort
grande dans le bon temps.
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Édité à Londres,
chez Guillaume Bowyer, 1725 |
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Il en allait autrement
chez nos ancêtres : dans les atriums on exposait un genre d’effigies,
destinées à être contemplées : non pas des
statues dues à des artistes étrangers ni des bronzes
ou des marbres, mais des masques moulés en cire, qui étaient
rangés chacun dans une niche ; on avait ainsi des portraits
pour faire cortège aux convois de famille et toujours, quand
il mourait quelqu’un, était présente la foule entière
de ses parents disparus ; et les branches de l’arbre généalogique
couraient en tous sens, avec leurs ramifications linéaires,
jusqu’à ces portraits, qui étaient peints. |
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traduction de JM. Croisille, Belles
Lettres, 6 lignes |
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art et pédagogie
L’art n’est pas seulement envisagé comme décoratif.
Il est conçu à partir du IVe siècle comme éducatif.
Cette fonction d’édification est commune à tous
les types d’art , à la littérature comme aux
arts sensuels tels que la peinture. Dans la Politique, VIII, 23,
Aristote (384-322 av. J.-C.) dit que les trois bases de l’enseignement
sont « lire et écrire, gymnastique, musique » et
ajoute que quelques-uns mettent en quatrième le dessin. Lui-même
y voit deux avantages, mieux juger les œuvres d’art et
mieux comprendre la beauté. (commentaire d’Agnès
Rouveret dans La peinture ancienne de Reinach, Macula.) |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 76 et 77
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Ipse Macedo natione,
sed Primus in pictura omnibus litteris eruditus, praecipue arithmetica
et geometria, sine quibus negabat artem perfici posse, docuit neminem
talento minoris– annuis D–, quam mercedem et Apelles et
Melanthius dedere ei. Huius auctoritate effectum est Sicyone primum,
deinde in tota Graecia, ut pueri ingenui omnia ante graphicen, hoc
est picturam in buxo, docerentur recipereturque ars ea in primum gradum
liberalium. semper quidem honos ei fuit, ut ingenui eam exercerent,
mox ut honesti, perpetuo interdicto ne servitia docerentur. Ideo neque
in hac neque in toreutice ullius, qui servierit, opera celebrantur. |
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Pamphilos était
Macédonien d’origine. Mais il fut le premier des peintres
qui eût étudié toutes les sciences, surtout l’arithmétique
et la géométrie, sans lesquelles il affirmait qu’on
ne pouvait atteindre à la perfection de l’art.
Il ne donnait pas ses leçons à moins d’un talent, soit 500
deniers par an. C’est le prix que lui payèrent Apelle et Mélanthios.
C’est grâce à son influence qu’à Sicyone d’abord,
puis dans la Grèce entière, les enfants de naissance libre apprirent,
avant toute chose, la « graphique », c’est-à-dire la
peinture sur du bois, et que cet art fut admis comme le premier des arts libéraux.
Il fut toujours si en honneur que les hommes libres, bientôt même
ceux de grande naissance, aimèrent à s’y exercer, et qu’il
fut interdit à perpétuité aux esclaves. De là vient
qu’on ne mentionne aucune œuvre célèbre ni en peinture
ni en toreutique exécutée par un esclave. |
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traduction d’A. Reinach, La
Peinture ancienne, 1921; Macula 1985 |
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Au Quattrocento, c’est la vertu
pédagogique de la peinture qu’Alberti choisit de célébrer,
pour affirmer l’antique appartenance de cet art aux arts libéraux. |
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L.B. Alberti
De Pictura, 1435 |
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§ 28. […]
Qui mos optimus apud Graecos maxime obsevabatur, ut ingenui et libere
educati adolescentes, una cum litteris, geometria et musica, pingendi
quoque arte instruerunt. Quin et feminis etiam haec pingendi faculta
honori fuit […] ac fuit quidem tanta in laude et honore pictura
ut apud Graecos caveretur edicto ne servis picturam dicere liceret.. |
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Il faut noter ici, surtout,
cette excellente coutume des Grecs, qui voulaient que les ingénus
et les enfants, élevés librement, fussent instruits dans
l’art de peindre en même temps que dans les lettres, la
géométrie et la musique. Bien plus, la peinture fut en
honneur auprès des femmes. […] Enfin la peinture fut en
si grand honneur et en telle estime chez les Grecs, qu’ils rendirent
un édit par lequel il était défendu aux esclaves
de l’étudier. |
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De la statue et De la peinture,
traités
de L.B.Alberti, traduits par Claudius Popelin, à Paris,chez
Lévy, 1869. |
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Statut social du peintre
Les artistes -et les peintres ne font pas figure d’exception-
ont, dans l’Antiquité, un statut social ambigu. Leur nom
même exprime cette ambiguité ; ils sont en effet des technitaï,
terme que l’on peut traduire par « ouvriers d’art » (Bernard
Holtzmann et Alain Pasquier, L’art grec) ; car ils sont plus que
de simples artisans, notamment du fait du développement de leurs
arts.
Ils ne sont pas tenus en grande estime dans une société qui
valorise la propriété foncière, les activités
politiques et les arts du logos ; le travail manuel et ceux qui le pratiquent
sont méprisés. « Dans les cités importantes,
où la stratification sociale est plus complexe, ces métiers
sont souvent exercés par des étrangers, résidents
sans droits civiques, les métèques à Athènes,
ou même par des esclaves » (ibid.). Mais ce mépris
général n’empêche pas une reconnaissance du
talent particulier : « Très sensibles à toute prouesse
individuelle, les Grecs ont su apprécier à sa juste valeur
une habileté manuelle qu’ils désignent par le mot
de technè, art ou artisanat selon les cas. » (ibid.). Cette
double dimension de l’art, dans l’Antiquité est illustrée
par l’association d’Athéna, déesse de l’intelligence
et de la ruse, et d’Héphaïstos, forgeron brutal, boiteux,
irascible, les deux patrons des technitaï.
Néanmoins, la dépréciation dont ils font l’objet
n’est sans doute pas aussi grande que certains textes semblent
le suggérer. Les signatures que l’on trouve sur certains
objets d’art (sculptures, mosaïques, céramiques) nous
le prouvent ; certaines œuvres sont donc considérées
par leurs artisans et artistes comme des objets de fierté, comme
des faire-valoir. D’autre part, « les créateurs qui
ont trouvé une formule nouvelle ou réalisé une œuvre
singulière l’ont volontiers commentée dans un traité,
et ce depuis le milieu du VIe siècle. » (ibid.). Enfin,
les prix de certaines productions d’art, bien qu’ils ne soient
pas clairement connus, semblent avoir été, selon certaines
sources, importants, consacrant en quelque sorte la valeur de l’art
et de l’artiste. L’ascension sociale de certaines familles
possédant des ateliers d’art montre que cette activité était
lucrative, notamment au IVe siècle où l’art a connu
un essor important (cf supra). « A Athènes surtout, où l’état
d’esprit local leur était favorable, les technitaï semblent
avoir joui d’une certaine aisance, et les nombreuses représentations
de métiers d’art qu’on rencontre sur les vases attiques, à côté des
scènes de sport et de banquet qui évoquent les passe-temps
de l’aristocratie, indiquent que, dans l’Athènes démocratique
du début du Ve siècle, leurs activités n’étaient
pas aussi dépréciées que l’ont fait croire
certains textes : ils constituaient la part la plus novatrice de la société attique. » (ibid.)
Pline rappelle la gloire qu’ont connue certains peintres, tel
Parrhasios (fin du Ve siècle av. J.-C.).
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §71-72
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Sunt et duae picturae
eius nobilissimae, hoplites in certamine ita decurrens, ut sudare videatur,
alter arma deponens, ut anhelare sentiatur. Laudantur et Aeneas Castorque
ac Pollux in eadem tabula, item Telephus, Achilles, Agamemnon, Ulixes.
Fecundus artifex, sed quo nemo insolentius usus sit gloria artis, namque
et cognomina usurpavit habrodiaetum se appellando aliisque versibus
principem artis et eam ab se consummatam, super omnia Apollinis se
radice ortum et Herculem, qui est Lindi, talem a se pictum, qualem
saepe in quiete vidisset. |
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Il y a encore de lui
deux tableaux très célèbres : l’un représente
un coureur armé, disputant le prix de la course ; on croit le
voir suer : l’autre, un coureur armé déposant ses
armes ; on croit le voir haleter. On vante son Enée, Castor
et Pollux, représentés dans un même tableau ; Télèphe,
Achille, Agamemnon et Ulysse. Artiste fécond, mais qui a usé avec
plus d’insolence et d’orgueil que nul autre de la gloire
de ses talents. Il se donna des surnoms, s’appelant Abroditès
(vivant dans le luxe), et, dans d’aures vers, se décalarant
prince de la peinture, conduite par lui, disait-il à la perfection.
Surtout il se prétendait un rejeton d’Apollon, et se vantait
d’avoir peint l’Hercule qui est à Linde tel qu’il
lui était souvent apparu dans le sommeil. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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L’exemple d’Apelle (IVe
siècle av. J.-C., époque alexandrine) montre également
que l’estime portée aux artistes croît avec l’essor
de l’art au IVe siècle. Ils côtoient les grands
car les Princes s’entourent d’artistes. (cf supra) |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §85-86
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Fuit enim et comitas
illi, propter quam gratior Alexandro Magno frequenter in officinam
ventitanti –nam, ut diximus, ab alio se pingi vetuerat edicto–,
sed in officina imperite multa disserenti silentium comiter suadebat,
rideri eum dicens a pueris, qui colores tererent. Tantum erat auctoritati
iuris in regem alioqui iracundum. |
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Apelle avait de l’aménité dans
ses manières, ce qui le rendit particulièreemnt agréable à Alexandre
le Grand : ce prince venait souvent dans l’atelier, et , comme
nous l’avons dit, il avait défendu par un décret à tout
autre artiste de le peindre. Un jour, dans l’atelier, Alexandre
parlant beaucoup de peinture sans rien connaître à l’art,
l’artiste l’engagea doucement au silence, disant qu’il
prêtait à rire aux garçons qui broyaient les couleurs
; tant ses talents l’autorisaient auprès d’un prince
d’ailleurs irascible.
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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concours de peinture.
La vitalité de l’art grec n’est pas sans lien
avec la culture de l’agôn (jeu, concours, lutte) qui
règne dans le monde grec. L’art grec est le fruit d’une
double logique : celle de la continuité et celle de l’innovation.
Il y a continuité parce que « l’art grec est fondé sur
une double transmission, celle du savoir-faire, mais aussi celle
des styles développés dans les ateliers des cités
productrices, au reste assez peu nombreuses. » (B. Holtzmann
et A. Pasquier, L’art grec.) Mais « la continuité des
formes et des techniques est compensée par la diversité des
styles locaux ou d’ateliers, au moins jusqu’au Ve siècle,
et surtout par l’innovation individuelle : les artistes ont à cœur
de se distinguer de leurs prédécesseurs et de leurs
contemporains en inventant des variantes inusitées. » (ibid.).
Cet esprit de la compétition est illustré par l’organisation
de concours de peintres au même titre qu’il y avait des
concours de tragédie au Ve siècle. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §72 |
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Cum magnis suffragiis
superatus a Timanthe esset Sami in Aiace armorumque iudicio, herois
nomine se moleste ferre dicebat, quod iterum ab indigno victus esset. |
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A Samos, mis par une
grande majorité de suffrages après Timanthe pour un tableau
d’ Ajax et du jugement des armes, il [Parrhasios] dit qu’il
souffrait, au nom du héros, de le voir vaincu une seconde fois
par un indigne adversaire. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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la peinture, un art lucratif
La
peinture est considérée comme une technè,
un art et un artisanat. Sa valeur est reconnue, comme l’exprime
ces mots de Pline « immortalia illa opera » ; certaines œuvres
d’art sont dites « immortelles »… Au IVe
siècle, la peinture s’est en effet sécularisée
: d’abord considérée comme un art réservé aux
dieux ou aux morts, la peinture devient un art destiné également
aux vivants. Elle est alors suffisamment présente dans la
vie quotidienne pour devenir une marchandise : elle s’achète
et se vend ; les artistes à partir du IVe siècle exercent
ainsi, semble-t-il, une activité assez lucrative. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §50, 62, 132
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§ 50 -Quattuor coloribus
solis immortalia illa opera fecere […] Apelles, Aetion, Melanthius,
Nicomachus, clarissimi pictores cum tabulae eorum singulae oppidorum
venirent opibus. |
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C’est en utilisant
uniquement quatre couleurs qu’Apelle, Aétion, Mélanthius
et Nicomaque, peintres célèbres entre tous, ont exécuté les
immortels chefs-d’œuvre que l’on sait […] et
pourtant chacun de leurs tableaux se vendaient au prix des trésors
de cités entières. |
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§ 62 -Opes quoque
tantas adquisivit, ut in ostentatione earum Olympiae aureis litteris
in palliorum tesseris intextum nomen suum ostentaret. Postea donare
opera sua instituit, quod nullo pretio satis digno permutari posse
diceret, sicuti Alcmenam Agragantinis, Pana Archelao. |
|
Il [Zeuxis] amassa également
de si grandes richesses que, pour en faire parade, il s’exhiba à Olympie
avec son nom brodé en lettres d’or sur des écussons
appliqués à ses manteaux. Puis il se mit à faire
don de ses œuvres, sous prétexte qu’on ne pouvait
les acheter à aucun prix correspondant à leur valeur
: c’est ainsi qu’il offrit son Alemène aux Agrigentins
et son Pan à Archelaus. |
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§132- Ephesi vero est megabyzi, sacerdotis Ephesiae Dianae, sepulchrum, Athenis necyomantea Homeri. Hanc vendere Attalo regi noluit talentis LX potiusque patriae suae donavit abundans opibus. |
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A Ephèse, en
outre, il y a de lui le tombeau d’un Mégabyze, prêtre
de la Diane d’Ephèse, et à Athènes la Nécyomantie
d’Homère. Le peintre refusa de vendre ce dernier tableau
au roi Attale pour la somme de 60 talents ; il préféra,
- car il était riche, - en faire cadeau à sa patrie. |
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traduction de JM. Croisille, Belles Lettres, 3, 4 et 3 lignes. |
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coût de la peinture
La
peinture est donc une activité commerciale et, comme n’importe
quelle autre activité commerciale, elle répond à une
logique mercantile et économique. On peut remarquer que Pline
s’attache pour chaque pigment à donner son origine,
ses propriétés mais également son prix. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §47
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Armenia mittit quod eius
nomine appellatur. Lapis est, hic quoque chrysocollae modo infectus,
optimumque est quod maxime vicinum et communicato colore cum caeruleo.
Solebant librae eius trecenis nummis taxari. inventa per Hispanias
harena est similem curam recipiens; itaque ad denarios senos vilitas
rediit. |
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L’Arménie
envoie la substance qui porte son nom. C’est une pierre qui se
teint comme la chrysocolle. Le meilleur armenium est celui qui approche
le plus de la chrysocolle , en tirant sur le bleu. On le vendait d’ordinaire
trente sesterces la livre. Mais on a trouvé en Espagne un sable
qui reçoit la même préparation, ce qui fait retomber
l’armenium à six deniers. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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D’autre part, le choix des
pigments de même que l’évolution des techniques
de production des pigments, n’est pas sans lien avec leur coût.
Vitruve (Ier siècle av. J.-C.) et Pline (Ier siècle
ap. J.-C.) précisent que des procédés pour produire
certaines couleurs à moindre coût ont été cherchés
et trouvés : les couleurs obtenues par des procédés
proches de ceux utilisés dans la teinturerie étaient
précieuses et coûteuses ; des contrefaçons en
ont été faites « en teignant des craies à l’aide
de sucs végétaux ». (Agnès Rouveret, Histoire
et imaginaire de la peinture ancienne). La production de ces couleurs
moins coûteuses peut s’expliquer, en partie du moins,
par la « démocratisation » de la peinture : les
commanditaires ne sont plus seulement les cités ou les rois
et les grands potentats, mais ce sont aussi les simples particuliers
; ils sont certes issus surtout des classes aisées mais n’ont
pas les mêmes moyens que les premiers. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, § 46 |
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Ab hoc maxima auctoritas
Indico. ex India venit harundinum spumae adhaerescente limo […]
alterum genus eius est in purpurariis officinis innatans cortinis,
et est purpurae spuma. […]qui adulterant, vero Indico tingunt
stercora columbina aut cretam Selinusiam vel anulariam vitro inficiunt. |
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Après cette couleur,
l’indigo tient le premier rang ; il vient de l’Inde, et
c’est un limon adhérent à l’écume
des joncs. […] Une autre espèce de bleu est ce qui surnage
sur les chaudières des teinturiers en pourpre. Les falsificateurs
teignent avec le vrai indigo la fiente de pigeon, ou colorent avec
du pastel de la craie de Sélinonte de la craie annulaire. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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Vitruve,
De Architectura, Livre VII,chap 14, 1-2 |
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Fiunt etiam purpurei
colores infecta creta rubiae radice et hysgino, non minus et ex floribus
alii colores. Itaque tectores, cum volunt sil atticum imitari, violam
aridam coicientes in vas cum aqua, confervefaciunt ad ignem, deinde,
cum est temperatum, coiciunt in linteum, et inde manibus exprimentes
recipiunt in mortarium aquam ex violis coloratam, et eo cretam infundentes
et eam terentes efficiunt silis attici colorem. […] Item qui
non possunt chrysocolla propter caritatem uti, herba, quae luteum appellatur,
caeruleum inficiunt, et utuntur viridissimum colorem; haec autem infectiva
appellatur. |
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On fait aussi des couleurs
pourpres en teignant de la craie avec la racine de la garance, et à partir
de l’hysgine, tout comme à partir d’autres fleurs
on obtient d’autres couleurs. C’est ainsi que les peintres
de revêtements, lorsqu’ils veulent imiter le sil attique,
jettent dans un récipient, avec de l’eau, des violettes
séchées, et les mettent au feu à bouillir ; ensuite,
quand la décoction est à point, ils la versent dans un
linge, puis, l’exprimant avec les mains, recueillent dans un
mortier l’eau colorée par les violettes ; ils y versent
de la craie, la broient, et obtiennent la couleur du sil attique. […]
De même ceux qui ne peuvent employer la chrysocolle à cause
de son prix teignent du bleu céruléen avec de l’herbe
appelée luteum, et peuvent ainsi employer une couleur du plus
beau vert : on l’appelle chrysocolle de teinture. |
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traduction de B. Liou et M. Zuinghedau,
Belles Lettres, 12 lignes |
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Pline précise par ailleurs
que certains pigments très chers sont fournis par le commanditaire
de l’œuvre, ce qui n’était pas le cas pour
les pigments moins chers, rappelant ainsi la logique économique
de la production picturale. |
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Pline,
Histoire naturelle, Livre XXXV, §44
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E reliquis coloribus,
quos a dominis dari diximus propter magnitudinem pretii, ante omnes
est purpurissum. |
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Parmi les autres couleurs
qui, avons-nous dit, sont, à cause de leur cherté, fournies
par les maîtres, au premier rang est le purpurissum. |
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Édition Nisard, édition
J.J.Dubochet, 1850 |
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