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Ekphrasis

Oeil et vision

 
   

Introduction

La description comme motif épique

La tradition allégorique

La tradition rhétorique

L'héritage ekphrastique

 

 

 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

 

 

 
 
 
   
                 
 
INTRODUCTION
     
La critique littéraire a utilisé le terme « ekphrasis » pour désigner une pratique littéraire : la description, au sein d’un texte, d’une œuvre d’art réelle ou imaginaire. Mais cette définition tardive est le fruit d’une longue évolution, et la conception moderne de l’ekphrasis ne saurait être appliquée aux textes anciens.

Il importe de rappeler que selon Aristote (384 –322 av. J.-C.), et par suite pour les théoriciens antiques du discours, la fonction première de tout discours est l’« enargeia », que l’on peut traduire par « évidence » ou « visibilité », c’est-à-dire que le discours doit d’abord montrer. Avec les successeurs d’Aristote, le concept d’« enargeia » repose essentiellement sur le sens de la vue : pour Denys d’Halicarnasse, Cicéron (Ier siècle av. J.-C.) ou Quintilien (Ier siècle ap. J.-C.), l’« enargeia » ou l’« evidentia » doit transformer l’auditeur-lecteur en spectateur, lui donner à voir les faits. Ainsi pour Quintilien dans l'Institution oratoire, « le discours ne produit pas son plein effet et n’exerce pas cet empire absolu auquel il a le droit de prétendre, si son pouvoir s’arrête aux oreilles, et si le juge croit entendre simplement le récit des faits sur lesquels il doit prononcer, au lieu qu'ils se détachent en relief aux yeux de son intelligence. » (tome III, livre VIII, traduction de H. Bornecque, Paris, Garnier, 1934).

C’est dans ce contexte théorique qu’apparaît à partir du Ier siècle après J.-C. le concept d’« ekphrasis », comme description, notamment avec Aélius Théon (Ier siècle ?) et Hermogène (IIe siècle ?), dans des traités de rhétoriques (les Progymnasta pour le premier, et l’Art rhétorique pour le second). Le concept a alors un sens bien différent de son acception moderne. Le verbe « ekphrazô » signifie « exposer en détail », et l’ekphrasis consiste alors à donner à voir avec « évidence » l’objet par le langage. Aélius Théon en donne cette définition : « la description (« ekphrasis ») est un discours qui présente en détail et met sous les yeux de façon évidente ce qu’il donne à connaître. On a des descriptions de personnes, de faits, de lieux et de temps […] On a aussi des descriptions de manière » ( Progymnasmata, 118.6, « peri ekphraseôs », traduction de Michel Patillon, les Belles Lettres, 1997). Cette définition est reprise par les théoriciens postérieurs. Ainsi l’objet décrit, dans la conception des théoriciens antiques, n’est-il que très tardivement une œuvre d’art, mais peut aussi bien être, par exemple, une personne, dans le cadre du discours épidictique où l’intention du discours est l’éloge ou le blâme. Chez Aélius comme chez Hermogène, l’« ekphrasis » est ainsi rangée au nombre des « exercices préparatoires » ou « progymnasmata », c’est-à-dire des exercices de rhétorique. Cette possibilité de mettre la description au service des genres oratoires n’a jamais été perdue de vue, et ce n’est que peu à peu que l’ekphrasis s’est autonomisée pour tendre à se constituer en genre littéraire.

L’œuvre de Philostrate, la galerie de tableaux (IIe-IIIe siècles), qui a contribué à inciter la postérité à réduire l’ekphrasis à la définition que l’on connaît, n’est qu’une modalité de ce qui est alors avant tout un exercice rhétorique. Si l’on voulait donner un aperçu de ce que désigne le concept pour l’Antiquité, il nous faudrait citer, à côté de Philostrate, les Caractères de Théophraste ( v. 370- v.287 av. J.-C.), qui, par cet exercice d’école, mettent en scène des caractères, décrivent l’homme dans ses passions (genre qui porte le nom d’« éthopées », en quelque sorte un sous-genre de l’ekphrasis). Il nous faut donc préciser que les ekphraseis que nous citons ici ont été choisies dans le cadre d’une étude consacrée à la peinture, mais ne sont pas représentatives d’un genre littéraire antique. Nous donnons ici quelques exemples des formes qu’a pu prendre la description d’œuvres d’art dans l’Antiquité.