Présentation de Philippe Walter et du rôle
du C2RMF
Philippe Walter : Je suis chercheur au C2RMF, qui est le centre
de recherche et de restauration des musées de France. Il
est situé dans le musée du Louvre, en souterrain.
Nous essayons d’appliquer toute une série de méthodes
de caractérisation venant de la physique ou de la chimie
pour étudier les oeuvres des musées, afin de comprendre
l’histoire des techniques, comprendre la préservation,
la présence de pigments dans le cas de la peinture, des
liants. Mais aussi d’aider les restaurateurs, pour avoir
les meilleures études possibles préalables à des
activités qui vont modifier l’oeuvre. Il est très
important d’avoir ces études scientifiques avant ce
type de démarche.
Comment la coopération scientifique – entre chimistes,
physiciens, historiens de l’art et restaurateurs – s’organise-t-elle
autour d’un projet ?
Il y a différents types de projets. Il y a des projets
très ponctuels où le laboratoire est sollicité pour
des activités de pur service. Par exemple, un restaurateur
se pose des questions sur le liant, il va être amené à employer
un solvant et pas n’importe lequel et il a besoin de caractérisations
physico-chimiques précises. Puis il y a d’autres projets,
beaucoup plus de coopération entre historiens de l’art
ou archéologues et scientifiques. Il s’agit de comprendre
ensemble un point de l’histoire de l’art ou dans l’histoire
des techniques. Dans le cas qui nous intéresse par exemple,
le département des antiquités gréco-romaines
du Louvre a demandé à Agnès Rouveret l’étude
du corpus des peintures hellénistiques du Louvre. L’étude
d’un point de vue de l’histoire de l’art et de
l’archéologie pouvait être faite. Nous avons été sollicités
pour travailler ensemble sur l’impact que peuvent avoir toute
une série d’analyses pour comprendre la relation entre
ces artistes-artisans qui vont chercher des pigments loin, les
modifier, les appliquer pour obtenir toute une gamme de couleurs,
et puis ce contexte historique, social, par exemple à Alexandrie,
puisqu’on est en présence de stèles de mercenaires,
qui peuvent être un groupe, pour des œuvres tout à fait
particulières.
Si la collaboration est étroite, les chercheurs ont-ils
besoin d’une formation disciplinaire ? Quel est le profil
des chercheurs du centre ?
Le centre fait de la restauration et également de
la recherche. La partie laboratoire regroupe une soixantaine de
personnes. Nous avons des physiciens, des chimistes en assez grande
quantité mais également des conservateurs de musée,
plus spécialisés en archéologie ou en histoire
de l’art. On essaye de mélanger toutes ces connaissances.
Côté physiciens et chimistes, ceux qui viennent ici
ont souvent un intérêt particulier pour des activités
historiques ou artistiques. Ils ont parfois fait des études à l’université en
parallèle des sciences ou suivi des modules d’archéologie
ou encore participé à des chantiers de fouilles archéologiques.
C’est comme cela que l’on peut se lancer dans ce type
d’études un peu particulières.
Comment travaillez-vous avec les restaurateurs ?
Généralement c’est un travail d’analyse
pour aider à compréhension de l’oeuvre. Par
exemple on va utiliser des photographies scientifiques avec des
infrarouges et des ultraviolets qui vont nous révéler
le dessin sous-jacent, les changements de composition, les restaurations
différentes qui apparaîtront par exemple en ultraviolet.
Y a-t-il une spécificité des méthodes d’analyses en ce qui concerne la peinture ancienne ?
On va utiliser à peu près les mêmes méthodes.
Mes collègues au laboratoire qui étudient la peinture
de chevalet ont développé depuis plusieurs années
une série de caractérisations optiques : infrarouges,
ultraviolets, photos en lumière rasante, photos de détails.
Ce qui nous indique tous les savoir-faire et nous donne accès
aux gestes, à la texture de la peinture et nous permet de
faire des déductions sur les modes de préparations
des pigments et les modes d’application, comme l’usage
de pinceaux, les différentes techniques.
Puis il y a une 2ème approche : la caractérisation
chimique de ces œuvres. Ici comme il s’agit d’oeuvres
abîmées, les traces de peinture sont peu nombreuses.
On va donc essayer d’utiliser des méthodes totalement
non destructives, comme l’accélérateur de particules,
AGLAE, l’accélérateur Grand Louvre d’Analyse
Elémentaire. C’est une machine qui va accélérer à très
gde vitesse des particules comme des noyaux d’hydrogène
ou protons qui vont sortir dans l’air et interagir avec la
peinture. Il y a alors émission de rayons X qui peuvent être
lus par un détecteur et convertis en énergie. Chaque énergie
correspond à un élément chimique. Grâce à des
logiciels de dépouillement, on pourra déterminer
la composition de l’endroit que l’on est en train de
regarder avec ce dispositif de protons, quels pigments ont été utilisés
etc.
Puis, dans de rares cas, on va faire quelques prélèvements
(très petits, un demi millimètre carré) imprégnés
dans de la résine. Cette section de peinture pourra être
caractérisée au microscope optique, et au microscope électronique à balayage
( MEB ).
Selon la forme de chaque grain, sa couleur, on va pouvoir déterminer
la nature des minéraux utilisés.
Comment faut-il lire une image scientifique ?
On va mélanger des observations optiques. Par exemple,
un pigment bleu avec de gros grains bleus assez gros (un dixième
de mm). Etant donné la forme de ces grains, on pourra être
sûr qu’il s’agit du bleu égyptien, synthétisé durant
l’Antiquité, qu’on a l’habitude de voir
et de reconnaître. Puis après analyse au microscope électronique à balayage
(MEB), on trouvera du silicium, du calcium et du cuivre, qui sont
trois éléments constitutifs de ce pigment.
Ensuite on va travailler en stratigraphie, sur les successions
de couches grâce aux coupes. On va voir qu’on a une
couche de pigment, éventuellement mélangé à un
liant minéral, par exemple du calcaire, qui est épaisse,
c'est-à-dire que toute la couche a été appliquée
en une fois, ce qui témoigne d’une technique particulière,
peut-être de l’usage d’un liant (mais dans notre
cas nous manquons d’études pertinentes sur les liants)
ou de l’usage d’une technique de fresque. Ensuite il
y a la vraie technique de fresque – connue surtout à la
Renaissance – où l’on va mettre un enduit de
chaux, et dessus poser une très fine couche de pigment.
C’est un autre type de technique ce que nous montre très
bien la stratigraphie. Ces différents cas ont été observés à Alexandrie et à Cyrène. Il y a donc une multitude de techniques
de peinture ce que l’on peut établir uniquement grâce à ces
coupes.
Votre spécialité, c’est l’Egypte. On
sait qu’Alexandrie est en Egypte et qu’il s’agissait
d’une colonie grecque. Peut-on établir des liens entre
l’art alexandrin et l’art égyptien pendant la
période qui nous intéresse ?
L’art égyptien est très particulier.
Ce n’est pas vraiment un art de la peinture mais un art du
dessin et du coloriage. Les oeuvres sont très soigneusement
dessinées parfois avec des codes esthétiques et stylistiques
extrêmement précis et ensuite une couche de couleur était
déposée pour remplir l’espace. Dans le cas
d’Alexandrie, le dessin, le modelé du vêtement
aura une grande importance. C’est un dessin très proche
de l’art grec. On est dans un autre cadre. Par contre à Alexandrie,
ce qui est très intéressant, c’est la profusion
des couleurs, qui permettaient de nombreux mélanges et l’obtention
d’une multitude de couleurs, des verts notamment. On retrouve
là l’esprit égyptien, avec ces mercenaires
présents à Alexandrie, qui ont pu apprécier
la polychromie clinquante des temples comme disent les auteurs
anciens et ont peut-être recherché des œuvres
plus colorées que ce qui était habituel. Grâce à nos
analyses, on a ainsi pu caractériser plusieurs pigments
jusque là inconnus de la palette antique : certains pigment
riches en arsenic et en plomb, comme la mimétite dont des
gisements sont connus en Iran. Ces pigments issus des conquêtes
d’Alexandre ont pu approvisionner certains artistes.
Vous confirmez alors ce que disent Pline ou Pétrone
sur les couleurs clinquantes ?
Les stèles du corpus ne sont plus très clinquantes
car elles sont très altérées. Les grains de
bleu égyptiens sont tombés. Il ne reste que l’autre
pigment avec lequel il était mélangé, un jaune.
Les couleurs sont donc plus tristes, sans nuance. A l’origine
le pigment devait être un vert très lumineux que l’on
retrouve sur le fond des stèles du cimetière de Démétrias
en Grèce.
Pline évoque souvent les fonctions médicinales de
certains pigments. Peut-on tirer des conclusions sur ces pigments
qui vont au-delà de l’esthétique ?
Pline va mélanger les matériaux qui sont élaborés
par l’homme, synthétisés à la fois pour
la peinture, la médecine et le maquillage. Par exemple,
c’est le cas des composés de plomb synthétisés
et utilisés pour le maquillage par les Egyptiens. Pline
nous en parle à côté d’autres pigments
synthétisés et utilisés en peinture. Il y
avait donc une relation directe entre ces procédés
techniques mais aussi une relation intellectuelle entre les personnes
qui allaient élaborer toutes ces matières premières à partir
de résidus d’autres types d’activités.
Ces pigments, ces produits pharmaceutiques à base de plomb étaient
pour beaucoup issus des déchets des mines d’argent.
Ce plomb était ensuite retransformé pour redevenir
intéressant, pour peindre. On découvre un très
grand savoir-faire de synthèse, avec des procédés
chimiques très compliqués, très longs à mettre
en œuvre utilisant la température, des foyers, ou le
temps, avec parfois de très longues réactions physiques.
Pline insiste sur tous ces procédés de synthèse.
Il y a donc eu à ces époques-là une démarche
de synthèse et, sous-jacente, un série de connaissances
qu’on a du mal à comprendre aujourd’hui à cause
du filtre de l’alchimie. On les redécouvre aujourd’hui
en Grèce avec les peintures funéraires et les fards égyptiens.
Hariclia Brécoulaki vient de soutenir sa thèse à Nanterre
en décembre dernier. Cette thèse a renouvelé les
connaissances concernant les pigments employés dans la peinture
funéraire en Macédoine. Ces conclusions sont-elles
aussi valables pour des stèles autres que celles de Macédoine
? Y a-t-il une unité dans l’emploi des pigments dans
le monde antique ?
Pour toute une série de pigments, c’est totalement évident.
Pour le corpus du Louvre, nous avons étudié techniquement
avec Agnès Rouveret seulement l’ensemble de Cyrène
et d’Alexandrie. Il n’y a donc pas de comparaison directe.
Mais Hariklia Brécoulaki souligne l’usage de toute
une série de piments, d’une variété de
techniques, et de liants organiques que l’on a retrouvés à Cyrène
avec la technique de l’encaustique employant notamment de
la cire d’abeille. On a donc le même type d’approche
technique en Macédoine, à Cyrène et à Alexandrie
mais pas forcément les mêmes savoir-faire. Il y a
de très légères nuances qui sont à remettre
en perspective. On a une grande multitude de techniques alors que
l’on a très longtemps cherché à simplifier
les choses. Les artistes-artisans de l’époque maîtrisaient
de très nombreuses techniques à cette époque-là déjà.
Il y avait une volonté de tester des liants différents,
selon les contextes aussi, avec une spécificité des
techniques employées pour les stèles funéraires
qui devaient être moins résistantes que celles employées
pour les métopes placées devant les tombes à l’air
libre. Il y avait donc une relation entre l’environnement,
une volonté de conservation de la peinture et un choix de
mode d’application des pigments. |