P. Klein et C. Devos

Agnès Rouveret

Philippe Walter

Sophie Descamps

 

 

 
   

 

Ecouter l'entretien      

 

Chimie de l'Antiquité     [2'40]

 

Méthodes d'analyse     spécifiques     [2'29] 

 

 

 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

 

 

 
 
 
   
                 
 

Entretien avec Philippe Walter au C2RMF, le 19 janvier 2004
Propos recueillis par Nora Philippe et Charlotte Ribeyrol

 
         
Philippe Walter Chercheur au C2RMF        
           

Présentation de Philippe Walter et du rôle du C2RMF

Philippe Walter : Je suis chercheur au C2RMF, qui est le centre de recherche et de restauration des musées de France. Il est situé dans le musée du Louvre, en souterrain. Nous essayons d’appliquer toute une série de méthodes de caractérisation venant de la physique ou de la chimie pour étudier les oeuvres des musées, afin de comprendre l’histoire des techniques, comprendre la préservation, la présence de pigments dans le cas de la peinture, des liants. Mais aussi d’aider les restaurateurs, pour avoir les meilleures études possibles préalables à des activités qui vont modifier l’oeuvre. Il est très important d’avoir ces études scientifiques avant ce type de démarche.

Comment la coopération scientifique – entre chimistes, physiciens, historiens de l’art et restaurateurs – s’organise-t-elle autour d’un projet ?

Il y a différents types de projets. Il y a des projets très ponctuels où le laboratoire est sollicité pour des activités de pur service. Par exemple, un restaurateur se pose des questions sur le liant, il va être amené à employer un solvant et pas n’importe lequel et il a besoin de caractérisations physico-chimiques précises. Puis il y a d’autres projets, beaucoup plus de coopération entre historiens de l’art ou archéologues et scientifiques. Il s’agit de comprendre ensemble un point de l’histoire de l’art ou dans l’histoire des techniques. Dans le cas qui nous intéresse par exemple, le département des antiquités gréco-romaines du Louvre a demandé à Agnès Rouveret l’étude du corpus des peintures hellénistiques du Louvre. L’étude d’un point de vue de l’histoire de l’art et de l’archéologie pouvait être faite. Nous avons été sollicités pour travailler ensemble sur l’impact que peuvent avoir toute une série d’analyses pour comprendre la relation entre ces artistes-artisans qui vont chercher des pigments loin, les modifier, les appliquer pour obtenir toute une gamme de couleurs, et puis ce contexte historique, social, par exemple à Alexandrie, puisqu’on est en présence de stèles de mercenaires, qui peuvent être un groupe, pour des œuvres tout à fait particulières.

Si la collaboration est étroite, les chercheurs ont-ils besoin d’une formation disciplinaire ? Quel est le profil des chercheurs du centre ?

Le centre fait de la restauration et également de la recherche. La partie laboratoire regroupe une soixantaine de personnes. Nous avons des physiciens, des chimistes en assez grande quantité mais également des conservateurs de musée, plus spécialisés en archéologie ou en histoire de l’art. On essaye de mélanger toutes ces connaissances. Côté physiciens et chimistes, ceux qui viennent ici ont souvent un intérêt particulier pour des activités historiques ou artistiques. Ils ont parfois fait des études à l’université en parallèle des sciences ou suivi des modules d’archéologie ou encore participé à des chantiers de fouilles archéologiques. C’est comme cela que l’on peut se lancer dans ce type d’études un peu particulières.

Comment travaillez-vous avec les restaurateurs ?

Généralement c’est un travail d’analyse pour aider à compréhension de l’oeuvre. Par exemple on va utiliser des photographies scientifiques avec des infrarouges et des ultraviolets qui vont nous révéler le dessin sous-jacent, les changements de composition, les restaurations différentes qui apparaîtront par exemple en ultraviolet.

Y a-t-il une spécificité des méthodes d’analyses en ce qui concerne la peinture ancienne ?

On va utiliser à peu près les mêmes méthodes. Mes collègues au laboratoire qui étudient la peinture de chevalet ont développé depuis plusieurs années une série de caractérisations optiques : infrarouges, ultraviolets, photos en lumière rasante, photos de détails. Ce qui nous indique tous les savoir-faire et nous donne accès aux gestes, à la texture de la peinture et nous permet de faire des déductions sur les modes de préparations des pigments et les modes d’application, comme l’usage de pinceaux, les différentes techniques.
Puis il y a une 2ème approche : la caractérisation chimique de ces œuvres. Ici comme il s’agit d’oeuvres abîmées, les traces de peinture sont peu nombreuses. On va donc essayer d’utiliser des méthodes totalement non destructives, comme l’accélérateur de particules, AGLAE, l’accélérateur Grand Louvre d’Analyse Elémentaire. C’est une machine qui va accélérer à très gde vitesse des particules comme des noyaux d’hydrogène ou protons qui vont sortir dans l’air et interagir avec la peinture. Il y a alors émission de rayons X qui peuvent être lus par un détecteur et convertis en énergie. Chaque énergie correspond à un élément chimique. Grâce à des logiciels de dépouillement, on pourra déterminer la composition de l’endroit que l’on est en train de regarder avec ce dispositif de protons, quels pigments ont été utilisés etc.
Puis, dans de rares cas, on va faire quelques prélèvements (très petits, un demi millimètre carré) imprégnés dans de la résine. Cette section de peinture pourra être caractérisée au microscope optique, et au microscope électronique à balayage ( MEB ). Selon la forme de chaque grain, sa couleur, on va pouvoir déterminer la nature des minéraux utilisés.

Comment faut-il lire une image scientifique ?

On va mélanger des observations optiques. Par exemple, un pigment bleu avec de gros grains bleus assez gros (un dixième de mm). Etant donné la forme de ces grains, on pourra être sûr qu’il s’agit du bleu égyptien, synthétisé durant l’Antiquité, qu’on a l’habitude de voir et de reconnaître. Puis après analyse au microscope électronique à balayage (MEB), on trouvera du silicium, du calcium et du cuivre, qui sont trois éléments constitutifs de ce pigment.
Ensuite on va travailler en stratigraphie, sur les successions de couches grâce aux coupes. On va voir qu’on a une couche de pigment, éventuellement mélangé à un liant minéral, par exemple du calcaire, qui est épaisse, c'est-à-dire que toute la couche a été appliquée en une fois, ce qui témoigne d’une technique particulière, peut-être de l’usage d’un liant (mais dans notre cas nous manquons d’études pertinentes sur les liants) ou de l’usage d’une technique de fresque. Ensuite il y a la vraie technique de fresque – connue surtout à la Renaissance – où l’on va mettre un enduit de chaux, et dessus poser une très fine couche de pigment. C’est un autre type de technique ce que nous montre très bien la stratigraphie. Ces différents cas ont été observés à Alexandrie et à Cyrène. Il y a donc une multitude de techniques de peinture ce que l’on peut établir uniquement grâce à ces coupes.

Votre spécialité, c’est l’Egypte. On sait qu’Alexandrie est en Egypte et qu’il s’agissait d’une colonie grecque. Peut-on établir des liens entre l’art alexandrin et l’art égyptien pendant la période qui nous intéresse ?

L’art égyptien est très particulier. Ce n’est pas vraiment un art de la peinture mais un art du dessin et du coloriage. Les oeuvres sont très soigneusement dessinées parfois avec des codes esthétiques et stylistiques extrêmement précis et ensuite une couche de couleur était déposée pour remplir l’espace. Dans le cas d’Alexandrie, le dessin, le modelé du vêtement aura une grande importance. C’est un dessin très proche de l’art grec. On est dans un autre cadre. Par contre à Alexandrie, ce qui est très intéressant, c’est la profusion des couleurs, qui permettaient de nombreux mélanges et l’obtention d’une multitude de couleurs, des verts notamment. On retrouve là l’esprit égyptien, avec ces mercenaires présents à Alexandrie, qui ont pu apprécier la polychromie clinquante des temples comme disent les auteurs anciens et ont peut-être recherché des œuvres plus colorées que ce qui était habituel. Grâce à nos analyses, on a ainsi pu caractériser plusieurs pigments jusque là inconnus de la palette antique : certains pigment riches en arsenic et en plomb, comme la mimétite dont des gisements sont connus en Iran. Ces pigments issus des conquêtes d’Alexandre ont pu approvisionner certains artistes.

Vous confirmez alors ce que disent Pline ou Pétrone sur les couleurs clinquantes ?

Les stèles du corpus ne sont plus très clinquantes car elles sont très altérées. Les grains de bleu égyptiens sont tombés. Il ne reste que l’autre pigment avec lequel il était mélangé, un jaune. Les couleurs sont donc plus tristes, sans nuance. A l’origine le pigment devait être un vert très lumineux que l’on retrouve sur le fond des stèles du cimetière de Démétrias en Grèce.

Pline évoque souvent les fonctions médicinales de certains pigments. Peut-on tirer des conclusions sur ces pigments qui vont au-delà de l’esthétique ?

Pline va mélanger les matériaux qui sont élaborés par l’homme, synthétisés à la fois pour la peinture, la médecine et le maquillage. Par exemple, c’est le cas des composés de plomb synthétisés et utilisés pour le maquillage par les Egyptiens. Pline nous en parle à côté d’autres pigments synthétisés et utilisés en peinture. Il y avait donc une relation directe entre ces procédés techniques mais aussi une relation intellectuelle entre les personnes qui allaient élaborer toutes ces matières premières à partir de résidus d’autres types d’activités. Ces pigments, ces produits pharmaceutiques à base de plomb étaient pour beaucoup issus des déchets des mines d’argent. Ce plomb était ensuite retransformé pour redevenir intéressant, pour peindre. On découvre un très grand savoir-faire de synthèse, avec des procédés chimiques très compliqués, très longs à mettre en œuvre utilisant la température, des foyers, ou le temps, avec parfois de très longues réactions physiques. Pline insiste sur tous ces procédés de synthèse. Il y a donc eu à ces époques-là une démarche de synthèse et, sous-jacente, un série de connaissances qu’on a du mal à comprendre aujourd’hui à cause du filtre de l’alchimie. On les redécouvre aujourd’hui en Grèce avec les peintures funéraires et les fards égyptiens.

Hariclia Brécoulaki vient de soutenir sa thèse à Nanterre en décembre dernier. Cette thèse a renouvelé les connaissances concernant les pigments employés dans la peinture funéraire en Macédoine. Ces conclusions sont-elles aussi valables pour des stèles autres que celles de Macédoine ? Y a-t-il une unité dans l’emploi des pigments dans le monde antique ?

Pour toute une série de pigments, c’est totalement évident. Pour le corpus du Louvre, nous avons étudié techniquement avec Agnès Rouveret seulement l’ensemble de Cyrène et d’Alexandrie. Il n’y a donc pas de comparaison directe. Mais Hariklia Brécoulaki souligne l’usage de toute une série de piments, d’une variété de techniques, et de liants organiques que l’on a retrouvés à Cyrène avec la technique de l’encaustique employant notamment de la cire d’abeille. On a donc le même type d’approche technique en Macédoine, à Cyrène et à Alexandrie mais pas forcément les mêmes savoir-faire. Il y a de très légères nuances qui sont à remettre en perspective. On a une grande multitude de techniques alors que l’on a très longtemps cherché à simplifier les choses. Les artistes-artisans de l’époque maîtrisaient de très nombreuses techniques à cette époque-là déjà. Il y avait une volonté de tester des liants différents, selon les contextes aussi, avec une spécificité des techniques employées pour les stèles funéraires qui devaient être moins résistantes que celles employées pour les métopes placées devant les tombes à l’air libre. Il y avait donc une relation entre l’environnement, une volonté de conservation de la peinture et un choix de mode d’application des pigments.