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FABRICATION DE LA COULEUR
  Les textes suivants montrent que les Anciens avaient une connaissance élaborée des pigments, de leur localisation, de leurs propriétés, connaissance indispensable pour les préparations qui précèdent la réalisation d’une peinture.  
         
Vitruve
De l’architecture, livre 7, chap. 9 §1, 2, 3
         

§1 Ingrediar nunc minii rationes explicare. Id autem agris Ephesiorurm Cilbianis primum esse memoratur inventum. Cuius et res et ratio satis magnas habet admirationes. Foditur enim glaeba quae dicitur, antequam tractationibus ad minium perveniant, vena uti ferrum, magis subrufo colore, habens circa se rubrum pulverem. Cum id foditur, ex plagis ferramentorum crebras emittit laerimas argenti vivi, quae a fossoribus statim colliguntur.

§ 2 Hae glaebae, cum collectae sunt in officinam, propter umoris plenitatem coiciuntur in fornacem, ut interarescant, et is qui ex his ab ignis vapore fumus suscitatur, cum resedit in solum furni, invenitur esse argentum vivum. Exemptis glaebis guttae eae, quae residebunt, propter brevitates non possunt colligi, sed in vas aquae converruntur et ibi inter se congruunt et una confunduntur. Id autem cum sint quattuor sextariorum mensurae, cum expenduntur, invenientur esse pondo centum.

§ 3 Cum in aliquo vase est confusum, si supra id lapide centenarium pondus inponatur, natat in summo neque eum liquorem potest onere suo premere nec elidere nec dissipare. Centenario sublato si ibi auri scripulum ponatur, non natabit, sed ad imum per se deprimetur. Ita non amplitudine ponderis sed genere singularum rerum gravitatem esse non est negandum.

  En construction
       
  Les différents mode de fabrication de l’atramentum, relatés par Pline, donnent une idée de la variété des recherches chromatiques, et de la complexité des usages et des effets recherchés dans le domaine de la couleur, pour une seule gamme de « noirs ».  
 
Pline,
Histoire Naturelle, Livre XXXV, § 41
     
Atramentum quoque inter facticios erit, quamquam est et terrae, geminae originis. Aut enim salsuginis modo emanat, aut terra ipsa sulpurei coloris ad hoc probatur. Inventi sunt pictores, qui carbones infe<s>tat<is> sepulchris effoderent. inportuna haec omnia ac novicia. Fit enim e fuligine pluribus modis, resina vel pice exustis, propter quod etiam officinas aedificavere fumum eum non emittentes. Laudatissimum eodem modo fit e taedis. Adulteratur fornacium balinearumque fuligine quo ad volumina scribenda utuntur. Sunt qui et vini faecem siccatam
excoquant adfirmentque, si ex bono vino faex <e>a fuerit, Indici speciem id atramentum praebere. Polygnotus et Micon, celeberrimi pictores, Athenis e vinaceis fecere, tryginon appellantes. Apelles commentus est ex ebore combusto facere, quod elephantinum vocatur. Adportatur et Indicum ex India inexploratae adhuc inventionis mihi. Fit etiam aput infectores ex flore nigro, qui adhaerescit aereis cortinis. Fit et ligno e taedis combusto tritisque in mortario carbonibus. Mira in hoc saepiarum natura, sed ex iis non fit. Omne autem atramentum sole perficitur, librarium c<u>mme, tectorium glutino admixto. Quod aceto liquefactum est, aegre eluitur.

  Le noir est encore une Couleur artificielle, quoiqu’il y en ait de naturel, qui se forme de la terre en deux façons ; l’un comme une espèce de saumure, qui s’élève sur sa superficie, et l’autre, comme une sorte de terre, de couleur de soufre, qu’on pàrépare à ce sujet pour bien des usages. Mais pour ce qui est du noir artificiel, destiné principalement à la peinture, on en fait de diverses sortes. Il y a des Peintres qui, pour raffiner, ont été jusqu’à fouir lea terre pour en déterre des charbons d’os humains, et en faire de beau noir : mais cette méthode est odieuse et nouvelle. Car on en fait de fort bon avec de la suie, et de plusieurs manières. Il n’y a qu’à la mêler avec de la poix, ou avec de la résine, brûlées ; et c’est pour cela qu’on a construit, parmi nous, de certains fourneaux, où la fumée n’ayant point d’issue, donne de la suie en abondance. Le Noir en est encore meilleur, si le feu est de pin résineux. Celui dont on fait l’encre à écrire, est communément préparé avec de la suie commune, tirée de nos fourneaux et de nos bains. D’autres font d’excellent Noir avec de la lie de vin, bien séchée et ensuite cuite au feu ; et l’on assure que si le Vin est bon, le Noir en sera meilleur et tirera du côté de l’Inde. On appelle ce Noir-là Tryginon, fait avec de la lie, et il est certain que Micon et Polygnote, anciens Peintres d’Athènes, en ont fait avec du marc de Vendange. Apelle est le premier qui ait inventé et mis en usage, l’Ivoire brûlé, qu’il nommait éléphantine, et que nous appelons noir d’ivoire, ou noir d’os. Les Indes nous envoient aussi le leur, mais jusqu’à présent, je n’ai pû découvrir où il se fait, ni de quelle manière. Nos Teinturiers en composent un autre, de cette crasse ffuligineuse qui s’attache à nos chaudrons. Les Plâtriers en font aussi avec de simples charbons de sarments, ou de Pin résineux, qu’on pile dans un mortier, et qu’on détrempe ensuite, comme l’on veut. Enfin il y a les Seiches, sortes de poisson, qui font un noir admirable ; mais on n’en peut tirer que peu, et on ne s’en sert point dans la Peinture. Du reste, toute espèce de noir se perfectionne aux rayons du soleil ; celui dont on fait l’encre doit être gommé ; celui qu’on destine aux enduits, délayé avec de la colle ; et celui qu’on veut rendre ineffaçable, détrempé avec du vinaigre.
       
      Edité à Londres, chez Guillaume Bowyer, 1725,
BNF V-2592
 
 

Le Traité des pierres de Théophraste montre que les Anciens avaient une connaissance élaborée des pigments, de leur localisation, de leurs propriétés, connaissance indispensable pour les préparations qui précèdent la réalisation d’une peinture.

 
 
Théophraste,
sur les pierres § 56, 66, 87, 89, 90, 94, 95, 96, 97.
 
§ 56. Il se trouve aussi, comme on l’a déjà observé, d’autres différences entre les Pierres précieuses de la même nature : comme entre les Cornalines, cette espèce qui est transparente et d’un rouge clair, se nomme la femelle ;et celle qui est transparente et d’un rouge plus foncé, tirant un peu vers le noir, se nomme la mâle. […]
Le lapis cyranus se divise aussi en mâle et femelle, et la mâle est celle qui a la couleur la plus foncée.

§ 66. Il y en a aussi une autre espèce qu’on nomme Xanthus, qui n’a pas la même couleur mais qui est d’un blanc jaunâtre, couleur que les Doriens appellent Xanthus.

Après les pierres, c’est aux terres que s’interesse Théophraste, terres qui forment elles aussi la matières de différents pigments :

§87. On doit également considérer celles qui sont singulières et remarquables par leur couleur, et qui par cette raison sont usitées par les peintres.

§89. Il y en a qui paraissent comme brûlées, et comme si elles avaient éprouvé des changements par le moyen du feu, telles que le Sandarach, l’Orpiment, et autres de cette nature ; il n’y en a pas une, cependant, à proprement parler, qui ne doive sa forme à l’exhalaison de ses parties aqueuses ; et ce sont celles en particulier qui semblent avoir été séchées et même enfumées, pour ainsi dire. On les trouve dans les mines d’or et d’argent, et quelques-unes aussi dans celles de cuivre.

§ 90. L’Orpiment, le Sandarach, la Chrysocolle, l’Ocre rouge, l’Ocre jaune et la Pierre d’Arménie, sont de cette espèce […] On dit que l’Ocre jaune setrouve ordinairement en grandes masse ou en blocs, et l’Ocre rouge semé pour ainsi dire, ou répandu çà et là. Les peintres se servent de l’un et de l’autre au lieu d’Orpiment ; car quand on les réduit en poudre, à peine les peut-on distinguer, quelque différents qu’ils paraissent en masses.

§ 94. Il y a trois espèces de terres de Sinope ; l’une qui est d’un rouge foncé ; l’autre blanchâtre, et la troisième d’une couleur moyenne entre les deux autres : c’est celle qu’on regarde comme l’espèce la plus pure, parce qu’on s’en sert sans mélange, au lieu qu’on mêle les autres.

 
 

Ce paragraphe rappelle que la connaissance des propriétés des pigments par les Anciens est avant tout expérimentale :

 
 

§95. Il y en a aussi une espèce qu’on fait avec de l’Ocre en le brûlant ; mais elle n’approche pas des autres en bonté. Cydias a été l’inventeur de cette opération, et on dit que l’idée lui est venue d’avoir observé dans une maison toute en feu où il y avait de l’Ocre, que lorsqu’il fut à moitié brûlé il prit une couleur rouge.

 
 

Théophraste reprend l’opposition plinienne entre couleurs naturelles et artificielles :

 
 

§97. L’Ocre rouge aussi est de deux espèces, le natif et le factice.

       
      traduction de l’édition Herissant, 1754.  
         
 

Le traité de Théophile, prêtre-moine du 12ème siècle, a été redécouvert par Lessing, qui le traduit et le publie, en 1774 (« Vom Alter der Ölmalerei »), afin de montrer que l’invention de la peinture à l’huile n’est pas attribuable, comme le veut la tradition vasarienne, à Jan van Eyck, mais lui est bien antérieure.
Théophile était probablement de langue germanique et originaire d’un pays germanique, d’où proviennent toutes les copies manuscrites connues de son texte. Dans son traité, il entend « aider au progrès du plus grand nombre d’hommes », en transmettant une somme de savoirs techniques. Ces connaissances sont cependant tournées majoritairement vers l’illustration des lieux et supports de prière : enluminures, vitraux... Il limite son discours sur la peinture aux seules substances colorantes, et n’aborde pas les manières, la perspective, la composition. Il parle surtout des mélanges de couleurs à effectuer pour obtenir certaines teintes, celles de la chair, des ombres, des vêtements.
Dans son prologue, il écrit : « Si vous l’étudiez avec attention [son traité], vous y trouverez tout ce que possède la Grèce sur les différents genres [= arts] et les mélanges des couleurs », se référant à la Grèce contemporaine – tandis que la France est la nation de l’art sur verre et l’Arabie du travail sur métal.
Ces textes sont à rapprocher de textes byzantins contemporains, par exemple, du Guide de la peinture, manuscrit byzantin du Mont Athos, contemporain de l’oeuvre de Théophile (traduction de M. P. Durand, texte cité dans Théophile, A.Blanc, éd. Picard, 1980), dont l’auteur est, comme Théophile, conscient de l’état de délabrement des peintures anciennes, en particulier du noircissement du cinabre :
« Quelles sont les couleurs que l’on peut employer sur mur, et quelles sont celles qui ne peuvent être employées ainsi.
Le fard de tableau, le tzingiari, le lachouri, la laque, l’arsenic, ne peuvent s’employer dans la peinture sur mur ; toutes les autres couleurs peuvent servir. Seulement, il faut observer que vous ne pouvez pas employer le cinabre pour peindre dans un endroit situé en dehors de l’église et très exposé au vent, parce que cette couleur noircirait. Il faut alors le mêler avec beaucoup de blanc. A l’intérieur, vous pouvez l’employer sans le voir noircir, en y ajoutant du fard de mur ou une petite quantité d’ocre de Constantinople » [le fard de mur est de la chaux, pour faire l’enduit] »

 
 
Théophile,
Schedula diversarum artium, 12è s.
     

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