Si la " dénomination " problématique
de la couleur en grec ancien a beaucoup intrigué les linguistes,
elle n’est qu’un point de départ dans les " histoires " de
la couleur qui paraissent dans la seconde moitié du 20ème
siècle. On retiendra ici celles de Brusatin, de Pastoureau et
de Gage.
Manlio Brusatin
Manlio Brusatin publie son Histoire des Couleurs en 1983. La traduction
française préfacée par Louis Marin date de la
même année. Pour ce dernier,
" les couleurs sont
des aventures idéologiques dans l’histoire matérielle
et culturelle de l’Occident " (Marin dans Brusatin, p.
13). Dès son avant-propos, Brusatin montre bien en effet que " la
couleur recouvre une aire partagée entre l’art et la
science, entre la physique et la psychologie " (p. 24). De fait,
l’Histoire des Couleurs embrasse de nombreux domaines que Brusatin
explore successivement sans se soucier de respecter la chronologie.
Cette perspective thématique qui a pour but de définir
la couleur par opposition à la forme et au dessin par exemple
en passant par l’analyse des rapprochements synesthésiques,
s'organise autour de ces deux pôles théoriques que constituent
les écrits de Newton sur la dispersion de la lumière,
d'une part, et le Traité des Couleurs de Goethe, d'autre part.
Michel Pastoureau
Michel Pastoureau a consacré de nombreux ouvrages à la question de la couleur; les plus célèbres sont Bleu, ou l’histoire d’une couleur emblématique du néolithique au 20ème siècle et Couleurs, images, symboles : études d¹histoire et d¹anthropologie (1989) présenté sous forme de recueil d’articles, de fragments sur la couleur. Dans son propos introductif à ce dernier livre, qui laisse une grande place à la perception médiévale de la couleur, en explorant emblèmes, sceaux, armoiries, codes vestimentaires, miniatures et bestiaires, Pastoureau affirme qu’il considère la couleur avant tout comme un fait de société. Cette limitation volontaire aux enjeux sociaux de la couleur explique l’absence d’analyses plus " scientifiques " du phénomène. Il n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que " malgré la révolution newtonienne du 17ème siècle, et malgré les découvertes de l’optique et de la chimie aux 19ème et 20ème siècles, la plus grande partie de ce que nous percevons, ressentons, croyons et vivons en matière de couleurs, nous le devons encore au Moyen-âge " (p. 19). Dans sa tâche quasi impossible ou " utopique " (p. 9), l’historien de la couleur, - c'est-à-dire d’une " sensation ", subjective par définition -, doit se prémunir contre les dangers de l¹anachronisme et privilégier une approche " transdisciplinaire " (p. 7) de façon à offrir un panorama de la couleur qui ne pèche pas par excès de généralisation.
John Gage
John Gage a publié deux ouvrages essentiels sur la couleur
: le premier, en cours de traduction Colour and Culture, Practice
and Meaning from Antiquity to Abstraction (1993) et le second, plus
récent, Colour and Meaning, Art, Science, and Symbolism (1999).
Dans Colour and Culture, Gage, dans le sillage de Berenson et de
Ruskin, retrace l’histoire des perceptions de la couleur de
l’antiquité à l’abstraction, en analysant à la
fois les découvertes scientifiques, les textes théoriques,
littéraires, philosophiques et les pratiques artistiques.
Conscient des limites de tout discours généralisateur
sur la couleur, Gage ne cherche pas à dégager des constantes
au cours des siècles (sauf peut-être celle de la perception
d’un " Orient " coloré et menaçant)
mais plutôt à mettre en évidence des spécificités
culturelles. Toutefois, les chapitres ne sont jamais purement chronologiques
: de nombreuses passerelles se dessinent entre les époques.
Ainsi, le premier chapitre de Colour and Culture est consacré aux
théories des Anciens sur la couleur, suivi par une relecture
de ces mêmes théories à la Renaissance, puis
par un chapitre sur la perception mystique de la lumière et
de la couleur au Moyen Age. Dans Colour and Meaning, Gage poursuit
son oeuvre d’" historien " ou " sémioticien " de
la couleur mais de façon plus thématique cette fois
puisque son livre est divisé en trois sections : les contextes
de la couleur, couleur et culture, la couleur en art et dans la littérature
artistique. Toutefois, malgré cette organisation thématique,
Gage s’intéresse aussi à l’évolution
des dénominations chromatiques, et ce à contre-courant
des récentes théories déconstructivistes de
la couleur.
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