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Ce qu’en pensaient les Modernes |
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" Parler des couleurs, c’est déjà parler des effets
sensibles des couleurs. Ces effets ne s’adressent pas seulement au goût
et à l’oeil ; ils regardent la sensibilité totale, si bien
que pour les nommer, nous sommes contraints d’employer l’artifice
de la métaphore " (Choulet, p. 210). Cette dimension métaphorique
est une caractéristique essentielle du discours moderne sur la couleur.
Dans le sillage du scientifique Newton qui évoquait déjà les " harmonies " colorées
et les " phantasmes des couleurs ", Goethe recourt à la synesthésie
et à un langage imagé pour débattre des phénomènes
chromatiques. Dans son Traité des Couleurs qui constitue une sorte de
phénoménologie des couleurs avant l’heure, l’écrivain
allemand tente de surmonter une aporie reformulée par Wittgenstein : " Les
difficultés que nous rencontrons en réfléchissant sur l’essence
des couleurs (difficultés auxquelles Goethe voulait se confronter dans
la Farbenlehre) se trouvent déjà enveloppées dans le fait
que nous ne possédons pas un concept unique de l’identité-couleur,
mais plusieurs apparentés entre eux ". La question d’une langue
de la couleur qui recouperait ces identités-couleur plurielles est au
coeur du texte de Goethe. Ce dernier explique en effet dans la cinquième
section de son Traité des Couleurs " qu’une langue n’est
proprement faite que de symboles, d’images, et n’exprime jamais les
choses directement, mais toujours par ce qui les reflète ". Ainsi
Goethe choisit d’ " introduire l’expression de la polarité dans
l’étude des couleurs ", une polarité à la fois
musicale, du " majeur " au " mineur " et électrique,
du " Plus " au " Moins " (Goethe, p. 264). Enfin, il termine
son Traité avec quelques considérations sur l’ " emploi
allégorique, symbolique et mystique de la couleur " qui suppose que
l’appréhension d’une couleur est indissociable de celle de
son " effet " symbolique (la pourpre et la majesté ; le vert
et l’espérance etc.). C’est cette idée d’une " signification
spirituelle " (Goethe p. 292) des couleurs que retiendra Kandinsky dans
son ouvrage théorique Du spirituel dans l¹art, et dans la peinture
en particulier. L’expérience chromatique pour le peintre russe est " comme
une expérience entendue dans la mystérieuse cuisine d’un
alchimiste enveloppé de mystère ". Du spirituel dans l’art
s’intéresse aux résonances des couleurs avec l’âme
: " il est donc clair que l’harmonie des couleurs doit reposer uniquement
sur le principe de l’entrée en contact efficace avec l’âme
humaine " (Kandinsky, p. 112). Avec ce texte de Kandinsky, étonnant
pour un peintre prônant l’abstraction et l’émancipation
de la peinture du joug textuel, on assiste donc à un retour paradoxal
de l’ut pictura poesis comme le souligne Le Rider : " l’abandon
du principe de mimésis en peinture et le passage à l’abstraction
colorée ont réduit l’écart entre littérature
et peinture ". |
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