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La synesthésie chez les Modernes |
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Les comparaisons synesthésiques
entre les couleurs, les mots et les sons présentes dans les
textes anciens trouvent un écho scientifique dans les travaux
de Newton qui exprime sa " croyance dans l’analogie entre
l’échelle diatonique et le spectre " (Gage, p. 233).
Déjà, les recherches de Newton suscitent un grand intérêt
dans les milieux artistiques à l’origine d¹expériences
nouvelles telles que le " clavecin oculaire " de Castel (1730)
censé produire des couleurs plutôt que des sons. Le thème
de l’ " audition colorée " et la métaphore
de la palette/clavier du peintre réapparaissent durant toute
la période romantique. Ainsi, Goethe n’hésite
pas à étudier
les couleurs en termes musicaux dans son Traité des Couleurs.
Mais le rapprochement synesthésique des sons et des couleurs
culmine dans la synthèse des arts ou Gesamtkunstwerke de Wagner,
contemporaine de l’apparition du terme – médical – de
synesthésie (en 1865) et des correspondances intersensorielles
théorisées dans le poème éponyme de Baudelaire.
Cette réflexion sur les harmonies de couleurs se poursuit jusqu’aux
débuts de l’abstraction, notamment chez des précurseurs
comme Whistler qui intitule ses tableaux Harmonies ou Symphonies,
mais aussi chez un peintre comme Kandinsky, encore très
influencé par Goethe et Wagner. Le développement de l’optique
physiologique et des théories vibratoires à la fin du
19ème siècle vient donner une nouvelle caution scientifique à ces
rapprochements synesthésiques. Ainsi, comme l’explique
William Nicati en 1898 dans sa Psychologie naturelle, " les longueurs
d’onde des principales teintes forment ensemble une progression
géométrique exacte comme, en musique, les octaves ".
Mais qu’il s¹agisse de démonstration à caractère
scientifique ou de simple métaphore, c’est surtout la
notion d’harmonie colorée qui reste toujours au coeur
des correspondances entre couleur et musique. Pour les tenants de l’abstraction,
l’analogie musicale permet en effet une émancipation par
rapport aux sujets narratifs ou tout autre modèle discursif.
Kandinsky est
séduit par la dimension spirituelle, par la " résonance
intérieure " (Kandinsky, p. 107) des couleurs qu’il
expose dans son ouvrage théorique Du spirituel dans l’art,
et dans la peinture en particulier et qu’il illustre dans son
tableau intitulé Fugue. Enfin, la musique ajoute une dimension
temporelle au médium statique qu’est la peinture, permettant à certains
artistes comme le futuriste Boccioni, ou Kupka et Léger d’intégrer
dans leurs compositions picturales une cinétique, une rythmique
même, proche de celle de la danse. |
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