"Les peintres font l’éloge de la main avec
la main" (Pierre Buraglio in Pêcheur à la
ligne, notes sur Poussin)
Ce panneau prend place dans une série de trois portes
"d’après… Nave
Nave Mahana" de Gauguin. La porte est un support ambivalent
: d’échelle humaine, elle est aussi un seuil qui
interdit de se laisser immerger dans l’effet de présence,
et invite à chercher l’envers du décor.
Tout semble partir d’un motif - cette main portée
au visage par l’une des femmes du tableau de Gauguin. Pierre
Buraglio cadre son panneau sur cette femme, dont la main est
reprise en écho: par la main de l’enfant accroupi
au premier rang, et par celle posée sur le tronc d’arbre,
et qui n’est plus rattachée à aucun corps.
Ces deux mains encadrent ainsi le tableau, et limitent l’image
autant qu’elles la démultiplient en un caléidoscope
infini. Mais si l’on peut croire, dans l’œuvre
tahitienne, que la femme porte un fruit à sa bouche, Buraglio
n’a conservé que l’aspect énigmatique
du geste, qu’il reprend sur le profil du premier plan.
Dès lors, on dirait que les figures nous invitent au silence, à cette "situation
de silence" dont parle Buraglio dans ses écrits:
-Silence par rapport au monde de Gauguin, vu comme à travers
une transparence neigeuse : le chromatisme n’a rien de
tahitien, plus proche d’une ambiance arctique. Les carnations
blanches notamment sont surprenantes pour ces femmes tahitiennes
- Silence aussi, du fait d’un certain refus de l’expressivité:
l’absence d’effet perspectif pose tous les motifs
sur le même plan, malgré la branche d’arbre
qui s’avance sur la figure centrale, mais semble plutôt
s’incruster dans le corps que le reléguer au second
plan. De plus, toutes les figures sont amputées d’un
façon ou d’une autre : bras sans main, profil solitaire,
main sans bras. le silence et le vide occupent la place restante.
Silence, donc, réclamé par le vide : une absence
de paysage, à peine suggéré par des nuances
rosées et bleutées, sur lesquelles se détachent
des figures qui semblent vouloir se retirer. On peut imaginer
que la figure centrale se cache derrière un masque - affichant,
plutôt qu’un visage, un souci de dissimulation. S’agit-il
ici d’évoquer, dans l’art de Gauguin, la falsification
- l’image édénique d’un paradis depuis
longtemps perdu ? Travailler d’après Gauguin ne
conduit pas à un retour nostalgique, mais plutôt à une
reprise critique : Buraglio utilise Gauguin comme on avance masqué,
et le travail "d’après" ne fait que
marquer une discontinuité majeure, que signalent les mouvements
de main : s’ils nous invitent à la concentration
et au silence, la main de droite se fait signe qui déporte
l’attention, de l’image, à l’idée
de porte, qu’elle semble ouvrir. Equivoque de la peinture
sur porte : vous pouvez entrer dans le tableau (sens métaphorique),
mais vous pouvez aussi passer outre et pousser la porte (sens
littéral), pour mieux prendre la distance à laquelle
nous invite Buraglio.