Cette œuvre de Cagnacci
est significative de ce que l’on peut appeler la "seconde
période" de Cagnacci, au cours de laquelle
les sujets profanes et sensuels empreints de naturalisme
remplacent les peintures religieuses de la "première
période". Avec la "Mort de Lucrèce",
Cagnacci se confronte à un sujet puisé dans
l’histoire ancienne. Noble dame romaine, Lucrèce
se donna la mort après avoir été déshonorée
par Sextus, fils de Tarquin le Superbe, roi de Rome. Aussi,
son histoire participe-t-elle d’une dimension équivoque.
C’est cette ambiguïté que tente ici de
rendre Cagnacci en mêlant atmosphère morbide
et érotisme. De telle sorte que le mouvement de l’œuvre
tient à l’articulation de ces deux dimensions.
Si l’image de la mort est omniprésente, celle-ci
n’est cependant que suggérée. C’est
tout d’abord cette dague que tient Lucrèce, tout
près de son sein, prête à rencontrer la chair.
C’est alors moins la mort que l’on voit que son imminence.
La force de ce geste tient au fait que c’est un mouvement
vers le cœur qui est représenté. Vers le cœur
de Lucrèce mais aussi, vers le cœur du tableau. C’est
ensuite le fond noir inquiétant qui tend peu à peu à aspirer
la figure comme en témoigne le flou que l’on peut
voir au niveau de son épaule droite.
Ainsi, c’est Lucrèce s’abandonnant que Cagnacci
nous donne à voir. S’abandonnant à la mort
dans la suggestion du suicide. S’abandonnant à elle-même
en un geste lascif, en une courbure sensuelle, elle-même
pleine de suggestion: les yeux clos, la bouche entrouverte, Lucrèce
ne semble pas mourir mais bien plutôt accéder à une
sorte d’extase. Cette sensualité est encore rendue
par la carnation et la nudité de ce corps très
pâle qui contraste avec le noir uniforme du fond. Ce contraste
se retrouve dans le bandeau bleu et dans les cheveux couleur
or de Lucrèce - deux détails lumineux du tableau
qui contribuent à lui donner toute sa force de suggestion
et, en cela, toute son ambiguïté.