Cagnacci, La mort de Lucrèce

Cette œuvre de Cagnacci est significative de ce que l’on peut appeler la "seconde période" de Cagnacci, au cours de laquelle les sujets profanes et sensuels empreints de naturalisme remplacent les peintures religieuses de la "première période". Avec la "Mort de Lucrèce", Cagnacci se confronte à un sujet puisé dans l’histoire ancienne. Noble dame romaine, Lucrèce se donna la mort après avoir été déshonorée par Sextus, fils de Tarquin le Superbe, roi de Rome. Aussi, son histoire participe-t-elle d’une dimension équivoque. C’est cette ambiguïté que tente ici de rendre Cagnacci en mêlant atmosphère morbide et érotisme. De telle sorte que le mouvement de l’œuvre tient à l’articulation de ces deux dimensions.
Si l’image de la mort est omniprésente, celle-ci n’est cependant que suggérée. C’est tout d’abord cette dague que tient Lucrèce, tout près de son sein, prête à rencontrer la chair. C’est alors moins la mort que l’on voit que son imminence. La force de ce geste tient au fait que c’est un mouvement vers le cœur qui est représenté. Vers le cœur de Lucrèce mais aussi, vers le cœur du tableau. C’est ensuite le fond noir inquiétant qui tend peu à peu à aspirer la figure comme en témoigne le flou que l’on peut voir au niveau de son épaule droite.
Ainsi, c’est Lucrèce s’abandonnant que Cagnacci nous donne à voir. S’abandonnant à la mort dans la suggestion du suicide. S’abandonnant à elle-même en un geste lascif, en une courbure sensuelle, elle-même pleine de suggestion: les yeux clos, la bouche entrouverte, Lucrèce ne semble pas mourir mais bien plutôt accéder à une sorte d’extase. Cette sensualité est encore rendue par la carnation et la nudité de ce corps très pâle qui contraste avec le noir uniforme du fond. Ce contraste se retrouve dans le bandeau bleu et dans les cheveux couleur or de Lucrèce - deux détails lumineux du tableau qui contribuent à lui donner toute sa force de suggestion et, en cela, toute son ambiguïté.


 
  Guido CAGNACCI
St'Arcangelo di Romagna (Italie), 1601- Vienne (Autriche), 1663

Lucrèce
vers 1657
Huile sur toile
H. 0,87 ; L. 0,66

Inventaire B-287