D'après... Guido Cagnacci
D'emblée notre regard se porte sur un détail perçant : la rencontre de la dague et de la chair, la sensation froide d'une mort imminente. Les trois moments isolés qui fixent cette scène dans l'urgence encadrent comme un second support, ce que l'on suppose être l'œuvre achevée; ils apparaissent dès lors au spectateur comme autant de moments de sa composition. Mais ces détails sont d'une nature toute particulière. Non pas esquisses du tableau, brouillons inachevés d'un travail préparatoire, lesquels seraient eux-aussi destinés à la mort, ces détails sont parties de l'œuvre. Par là, Pierre Buraglio nous donne à voir non seulement l'acte d'appropriation dans sa matérialité ("Avec qui ? A partir de qui ?") mais aussi le mouvement même d'une œuvre devenue sienne.
Deux moments indissociables s'articulent: la matérialité, rendue visible par le coupé-collé de papiers sur un calque diaphane; le mouvement, rendu explicite par la focalisation des détails; Pierre Buraglio met en œuvre cette articulation, ou plutôt en "désœuvre", en effaçant à plusieurs endroits les limites des cadres. Illimitées, les œuvres ne prennent pas fin. Le mouvement est alors permanent qui mène des détails (mais le sont-ils encore ?) à Lucrèce. Montrer l'articulation de ces moments, c'est soutenir le rythme par lequel une œuvre se donne à nous dans l'enchaînement de ses formes.
Ce rythme mystérieux consiste ici en l'abandon lascif que Lucrèce fait d'elle même. Entre la mort imminente que laisse présager la dague et le geste sensuel d'un corps qui se courbe de plaisir ou de douleur, le lien se fait grâce à des détails, qui ne se focalisent pas sur un point particulier, mais bien au contraire, se meuvent d'eux-mêmes, rendant ainsi compte du regard du peintre et, en lui, du spectateur. Ce n'est pas une image fixe qui est peinte mais un Acte dont la violence est démultipliée par les détails, pur mouvement, pur rythme. Oeuvre littéralement dépliée en ses moments poétiques, cette Lucrèce se donne donc, ou plutôt s'abandonne, non en une posture fixe et sans vie, mais en une danse picturale empreinte à la fois de mort et de plaisir. Abandon de la figure mythique, entre douleur et sensualité. Abandon de l'oeuvre de Cagnacci aux mains de Pierre Buraglio entre lesquelles elle acquiert une tout autre dimension expressive.
D'après…Guido Cagnacci (Lucrèce)
2002
Crayon, fusain, découpage
79 x 74
Collection particulière