Le visiteur du Musée
est pris entre deux regards : face à lui, Jacques Stella
; derrière lui, Simon Vouet. Lit les cartels, et constate
que ce sont deux autoportraits. N’en doutera pas, et
même, reconnaîtra Stella sans l’avoir jamais
vu. Reconnaîtra en tout cas le dispositif et l’économie
propres au genre de l’autoportrait. Se souviendra de
ceux de Poussin, ami de Stella. Verra que le fond est neutre,
que le peintre se représente de trois quarts comme le
veut le jeu de l’autoportrait au miroir. N’y verra
que le peintre face à lui même, et se sentira
gêné de son regard troisième. Tâchera
quand même de comprendre ce qui se joue dans cette intimité-là,
dont il voit bien qu’elle n’est pas complaisante
: Stella se peint sans artifice, le visage assez inexpressif,
mais plutôt grave… S’il se renseigne, il
saura que Stella était malade. Et s’il ne se renseigne
pas, il verra tout de même l’ombre portée
dans son dos, et l’urgence de la touche. Il verra aussi
le rouleau que le peintre tient dans la main, les bras croisés.
Il y apercevra quelques traits rouges d’une écriture
indécidable. Il reviendra vers l’ombre, à sa
droite – vers le halo sombre, sur sa gauche ; et il fera
le tableau s’assombrir davantage. S’il est amateur
de mystère ou d’histoire de l’art, il se
demandera d’où vient la lumière, et il
constatera que l’ombre est illogique, ou que le fond
n’est pas plat, ou encore, que le fond est imaginaire.
Il aura alors l’impression que Stella se peint avec l’ombre
qui l’accompagne et le suit de très près,
l’impression de percer à jour la sobriété extrême
de cet autoportrait qui dit le vrai plus que le vraisemblable… Tant
et si bien qu’il a paru invraisemblable, jusqu’en
1988, que ce tableau fût bel et bien un autoportrait.
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