Daumier a créé cette
série de 36 parlementaires entre 1831 et 1832. C’était à l’origine
des terres coloriées, que l’artiste modelait littéralement
dans la Chambre, depuis la tribune des journalistes, desquels
il se distinguait parce que, en guise de plume et de papier,
il apportait sa motte de terre. Objets très fragiles
: au cours du 19ème siècle, ils ont connu la
dégradation,
la restauration… ils sont aujourd'hui exposés
au musée d'Orsay. Dans les années 1920, on a
en a fait des moulages, pour tirer des séries en bronze,
en nombre très limité ; au musée des Beaux-Arts
de Lyon, ce sont ces bronzes qui sont présentés
; si elles ne relèvent pas directement d’une intention
de Daumier, ces pièces emblématisent l’histoire
de cette série, exemplaire des problèmes de conservation,
de transformation, de fidélité aux originaux
qui se posent à la fois - mais pas de la même
façon, à l’institution muséale et à l’artiste
qui, travaillant "d’après", ré-interprète
une œuvre ancienne.
La série des parlementaires de Daumier témoigne parfaitement de
son art de la caricature, elle a la même visée que ses dessins :
détruire les personnages en outrant leurs caractéristiques. Cependant,
ce sont avant tout - événement remarquable dans son œuvre
- des sculptures, des terres travaillées et colorées ; le sculpteur
rivalise avec les statues officielles, il constitue un véritable contre-panthéon
- dimension qui ne devient flagrante, il est vrai, qu’avec les bronzes,
avec lesquels Daumier, à l’origine, n’a rien voir. Ici, la
valeur cultuelle de la statuette est devenue contre-valeur, ou valeur négative
de dépréciation. Dans l’Egypte antique, on trouvait de petites
effigies, les Chaouabtis, déposés dans les tombes comme substituts
du défunt ; avec les Parlementaires, on passe de la fonction magique de
l’objet - à la moquerie; son efficacité dessert celui dont
il est l’effigie.
- Mais, au juste, que sont ces bustes ? Trop grands pour être des figurines,
ils ne sont pas non plus à l’échelle humaine ; une échelle étrange
qui ne magnifie pas les sujets, et qui, avec humour, évoque les réductions
de têtes des Indiens d’Amazonie ; quelque chose de plus que la
simple satire. En effet, leurs noms (des adjectifs) évoquent des types – des
caractères, comme ceux d’Horace et de La Bruyère ; mais
sont-ils vraiment motivés ? Daumier ne s’appuie-t-il pas plus
sur la force expressive de ses visages grimaçants, que sur la pertinence
du trait satirique ? Dès lors, ces bustes seraient, non pas l’illustration
d’une notation satirique, mais une satire plastique qui ne s’épuiserait
pas dans un adjectif.
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