Véronèse , Bethsabée au bain

Du jardin du fond au plan d’eau aux pieds de la jeune femme, un même espace où se jouent pourtant deux scènes bien distinctes: d’un côté, c’est l’harmonie architecturale, de l’autre, la relation entre deux figures. Il s’agit d’une intrusion masculine dans l’espace intime d’une femme. Toutefois, les corps communiquent à travers le regard et le geste de la main: il est bien question d’érotisme entre eux. Car si les corps sont recouverts, les plis des étoffes, et la statue qui surplombe l’action, rappellent ce qui reste caché. Et l’oreille rouge, le pied crispé et la main jouant avec le filet d’eau parlent pour la jeune femme.
Officiellement, ce vieil homme, couvert par le manteau des doges, est l’émissaire qui annonce à Bethsabée que le roi David, l’ayant aperçue au bain, la convoite. Que reste-t-il de l’épisode biblique ? Il semblerait que David, suivi de sa cour, se trouve dans la partie droite du tableau. Or, l'émissaire porte le même manteau qu'un personnage sous les colonnades : les deux scènes sont-elles simultanées, ou liées dans une logique narrative ? Si l’on doute de l’identité des personnages, on peut aussi se demander si le jardin représente la demeure du roi, ou celle de Bethsabée - lieu propice aux rencontres secrètes, mais aussi scène où les personnages s’exposent. Le voyeurisme est du reste représenté par le personnage qui se penche du haut de la terrasse: il nous renvoie à notre propre position de voyeurs. La statue concentre l’ambiguïté de la scène: son cadrage met en évidence l’érotisme d’un corps pas si minéral que cela, et la tête de Bethsabée est singulièrement placée sous ce témoin si provocant, qu’à la Cour de Louis XIV, on lui a ajouté une tête et des bras afin d’éloigner le moindre doute ; en effet, prêter la vie à cette effigie, ce serait mettre en doute la vertu de Bethsabée, dont on ne saurait plus si elle est outrée par ce qu’elle entend, ou si elle est prête à admettre l’homme, de ce côté du jardin où la fontaine porte une tête de satyre.
Et si l’on pouvait connaître l’histoire des commanditaires, dont les blasons ornent les objets aux pieds de Bethsabée, peut-être saurait-on si l’épisode biblique est un prétexte à une anecdote vénitienne.


 
  Paul VÉRONÈSE (Paolo CALIARI, dit)
Vérone (Italie), 1528 - Venise (Italie), 1588

Bethsabée au bain
vers 1575
Huile sur toile
H. 2,32 ; L. 2,42

Inventaire A-63