Du jardin du fond au
plan d’eau aux pieds de la jeune femme, un même
espace où se jouent pourtant deux scènes bien
distinctes: d’un côté, c’est l’harmonie
architecturale, de l’autre, la relation entre deux
figures. Il s’agit d’une intrusion masculine
dans l’espace intime d’une femme. Toutefois,
les corps communiquent à travers le regard et le geste
de la main: il est bien question d’érotisme
entre eux. Car si les corps sont recouverts, les plis des étoffes,
et la statue qui surplombe l’action, rappellent ce
qui reste caché. Et l’oreille rouge, le pied
crispé et la main jouant avec le filet d’eau
parlent pour la jeune femme.
Officiellement, ce vieil homme, couvert par le manteau des doges, est l’émissaire
qui annonce à Bethsabée que le roi David, l’ayant aperçue
au bain, la convoite. Que reste-t-il de l’épisode biblique ? Il
semblerait que David, suivi de sa cour, se trouve dans la partie droite du tableau.
Or, l'émissaire
porte
le
même
manteau qu'un personnage sous les colonnades : les deux scènes sont-elles
simultanées, ou liées dans une logique narrative ? Si l’on
doute de l’identité des personnages, on peut aussi se demander si
le jardin représente la demeure du roi, ou celle de Bethsabée -
lieu propice aux rencontres secrètes, mais aussi scène où les
personnages s’exposent. Le voyeurisme est du reste représenté par
le personnage qui se penche du haut de la terrasse: il nous renvoie à notre
propre position de voyeurs. La statue concentre l’ambiguïté de
la scène: son cadrage met en évidence l’érotisme d’un
corps pas si minéral que cela, et la tête de Bethsabée est
singulièrement placée sous ce témoin si provocant, qu’à la
Cour de Louis XIV, on lui a ajouté une tête et des bras afin d’éloigner
le moindre doute ; en effet, prêter la vie à cette effigie, ce serait
mettre en doute la vertu de Bethsabée, dont on ne saurait plus si elle
est outrée par ce qu’elle entend, ou si elle est prête à admettre
l’homme, de ce côté du jardin où la fontaine porte
une tête de satyre.
Et si l’on pouvait connaître l’histoire des commanditaires,
dont les blasons ornent les objets aux pieds de Bethsabée, peut-être
saurait-on si l’épisode biblique est un prétexte à une
anecdote vénitienne.