D'après… des sculptures des XVe et XVIe siècles

"La main qui travaille" (Gilles Aillaud, à propos de Pierre Buraglio)

Trois Vierges sont à la fois montrées et cachées. Un faux dessin d'analyse fait croire à une humble reproduction de copiste face aux oeuvres du passé. La main qui tient un fusain sur la toile renforce encore cette illusion.
Et pourtant, la composition même dérange la première impression: l'oeil est attiré, certes, vers ces trois Vierges, mais les statues n'en demeurent pas moins projetées au second, puis à l'arrière plan ; le dessin les rassemble en une oblique qui tend à se perdre à l'infini: la dernière n'est plus qu'une silhouette que l'on devine... L'angle de vue n'est, après tout, qu'un intervalle ménagé entre deux plans: à gauche, le revers d'un chassis, à droite, l'endroit du dessin en cours. Ces deux surfaces censées ouvrir le regard vers ce qui devrait être le centre d'intêret (- les trois Vierges sont à la fois sujet du dessin, modèle venu du passé, objets d'admiration) limitent, en réalité, l'espace des vierges, et le concurrencent dangereusement ; des plans mal définis, caractérisés par la saturation ou le vide, prennent la place qui semblait vouée à la contemplation des statues - espace plus sage, plus reconnaissable, espace chrétien et culturel entre tous des petites vierges sculptées présentées au musée.
Au premier plan, prolongée par un fusain, la main de l'artiste s'avance comme pour désigner, à l'intersection de la page blanche et de son modèle, la tension peu catholique qui habite le tableau :
la statuaire se mêle au dessin,
des plans quasi abstraits côtoient le figuratif,
la vierge se démultiplie en figures féminines peu identifiables,
et la main du copiste profane pénètre dans l'espace de la Vierge à l'Enfant.
... - Pas si profane peut-être : l'artiste est pris dans ce mystère de l'image à naître, ou plutôt de l'image à renaître différemment... ce qui explique sans doute ces supports, ce fusain, cette main - autant de matériaux à l'oeuvre dans le processus d'incarnation. Il ne s'agit plus en effet de célébrer l'image de la Vierge à l'Enfant, mais le mystère du processus plastique. D'où cette tension étonnante : ce qui est dessiné (les statues) est encore à dessiner (sur la page vierge); Pierre Buraglio met en abîme le dessin en train de se faire, les temporalités sont bousculées - le temps de la création coexiste avec l'atemporel statuaire - ou plutôt, il le modifie. L'oeuvre exposée devient dessin en cours d'élaboration. "Attention travaux ! " indique le fusain noir pointé dans la toile !
Ceci n'est pas un tableau, c'est à la fois un tableau qui se fait et un tableau à faire.

D'après… des sculptures des XVe et XVIe siècles
2003
Fusain sur papier
42,5 x 53