Des crayons impriment
leurs traces sur la surface lisse et opaque d’une feuille
de calque. Des lignes et des courbes se superposent, se révèlent
l’une par l’autre, comme un jeu de palimpseste
coloré. Rouge et bleu, couleurs primaires, couplées
: c’est à elles que le dessin doit sa force
d’interpellation, c'est par elles qu’il nous
fait en quelque sorte violence. Dépouillement des
couleurs et du geste, qui refuse la fioriture, dépouillement
du médium, ce calque qui se laisse si facilement percer à jour
: signes du dépouillement, enfin, du motif ?
Pierre Buraglio effectue un travail paradoxal de ressaisie
et de transformation d’un motif saturé de significations,
les pieds nus et sales de St François, pour le faire tendre
vers une abstraction de plus en plus grande . Prenant parti pour
leur trivialité : la blessure est au centre
du dessin, elle en est presque l’emblème, le signe
discret et essentiel. Mais l’artiste renverse le traitement
illusionniste : une gamme chromatique extrêmement limitée
indique un recentrage sur la question de la matérialité et
de sa représentation : comment représenter le volume,
le corps ? C’est peut-être là que réside
la force évocatrice du rouge, couleur de la carnation,
de la souffrance. Sa violence est mise en lumière par
le contraste avec les parties au crayon bleu qui foncent les
volumes presque minéraux des corps. Transsubstantiation
du corporel au minéral. Grossissement du détail
dans le détail, déplacement, déformation,
rendent possible une lecture presque abstraite de l’œuvre.
L’artiste joue sur cette indécision entre référentialité affichée
et plasticité, qui est aussi indécision entre dessin,
peinture et sculpture.
La matérialité, c’est aussi le prosaïque,
le trivial : en somme, le pied comme figure de l’humilité,
de ce qui appartient au sol. Dénudés, recroquevillés,
les pieds sont figures de torsion, de déformation et de
souffrance. Il n’y en a que trois. Dénuement.