Etude de torchon
Recentrage par rapport à Dürer : moins délié, plus massif, le drapé devenu torchon s’impose. Verticalement : axe très net autour duquel la matière s’organise; verticalité qui est comme une présence... suspendue à un clou. Clou qui est tu, mais omniprésent - dans la suspension, la gravité, et donc, dans les plis.
Le motif est mis en valeur par le cadrage, serré, et par l’ombre qui redouble sa présence. L'ombre elle-même répétée, à gros traits noirs et bleus, détruit l’illusion de réalité : ceci n’est pas un torchon. L’ombre du torchon. Massive. Noir/blanc Géométrie froissée. Abstraction d’un objet qui se fait oublier au profit de ses formes ? Ou, au contraire, charge narrative d’un objet surconnoté (- le torchon est plein de mille histoires : retours de chasse, natures mortes, drapés - en ce qui concerne les histoires de l’art ; implications sociales, biographiques et quotidiennes propres à chacun) ? Les hiérarchies sémiotiques n’ont rien à voir avec les hiérarchies quotidiennes. La puissance signifiante du torchon n’est en rien amoindrie par sa trivialité d’objet utilitaire.
Rien n’est neutre. Bleu/blanc/rouge : drapeau, pavillon... Etendard de quoi ? Ce torchon peut avoir un sens social, il peut aussi avoir un sens spirituel. Nature morte : s’il a à voir avec la crucifixion, le saint suaire - la chair est ici absente. Matière pendante, textile suspendu au clou - trophée, martyre, ustensile... est-ce un symbole ou, très différemment, une allégorie de l’objet ? Le torchon allégorie de soi-même : le torchon par excellence.

(Quoi qu’il en soit…) Invitation à la caresse, à la préhension. Sensualité des rayures qui enlacent la toile blanche. Lacis. Essuyez-vous les mains. Rêche ou adouci par l’usure ? Le torchon appelle une évaluation tactile qui est ici scandaleusement impossible. Il y a une forme de provocation dans la représentation d’un objet quotidien, rendu inaccessible, sacralisé. Les automatismes du quotidien, déjoués, font affleurer une foultitude de questions – dont on ne se débarrassera pas en s’essuyant les mains.
Bien sûr… le torchon, métaphore de la toile, de la surface blanche. Au creux des plis, l’intégrité du torchon est niée. Ça n’est pas un torchon qui est représenté, mais un torchon chiffonné. Déplier mentalement le torchon.
Le torchon comme un défi à l’interprétation. Il est.
"L’étant se refuse à nous jusqu’à ce point de simplicité et, en apparence, de modicité que nous ne rencontrons nulle part mieux que quand, d’un étant, nous ne pouvons plus que dire : il est" (Heidegger, L’origine de l’œuvre d’art).

Etude de torchon
2003
Fusain, crayon de couleur, gouache sur papier
62,5 x 49