D'aprés ... Etienne Martin

Cette oeuvre est un palimpseste : sous cette Sauterelle, une autre, ensevelie ; en déclinant la Sauterelle, Pierre Buraglio témoigne de la difficulté de la recherche de la bonne distance, dans le cadre d’un travail « d’après ». Le support est une vieille porte, la silhouette d’une femme s´arrête à la marge supérieure du bois tronqué, lisière arbitraire de la figuration, où l´artiste tranche la construction plastique de la figure: il y a là une volonté de peindre un sujet sans l’exposer dans son intégrité; le peintre lui inflige une coupe, une destruction partielle.
L´arrière-plan, triparti en bandes horizontales de couleurs différentes mais uniformes, permet un détachement net de la figure; un jeu ambigu s´instaure au niveau des mains attachées aux hanches et qui se confondent avec le bassin, traçant des angles obtus qui effacent les rondeurs de la ligne. A l´intérieur de cette ligne Buraglio étale avec énergie, au moyen de bâtons à l´huile, des taches d´ombre et de lumière qui matérialisent une chair blanche et glaciale et créent une sinuosité troublante.
Le cadrage est brutal dans sa frontalité: le peintre choisit une perspective postérieure sans concession... Dans une esquisse précédente, réalisée à partir de la même statue, il montrait le visage et le buste pris de biais, en donnant à la figure une posture hiératique. Ici, la forme reste massive, solide ; tout en esquissant un mouvement de marche, la figure expose une fragilité sans défense.
- Mais ce qui surprend le plus dans le traitement de cette figure, c’est la projection de son ombre sur le sol : dirigée dans le sens de la marche, elle crée une vague profondeur qui entre en conflit avec la planéité du fond vertical. Associée aux bandes colorées du fond ( - c’est en observant les plinthes, au Musée, que Pierre Buraglio les a conçues), l’ombre portée restitue quelque chose de l´espace physique d´exposition de l´œuvre - la salle où se trouve placée la statue; ainsi, l’artiste affiche une volonté de faire dialoguer la figure avec son environnement – de ne pas la soustraire à la contingence de sa présentation.
Enfin, Pierre Buraglio a enlevé son socle à cette femme sans grâce qu´Etienne-Martin avait sculptée avec une bienveillance détachée. Il pose ses pieds au sol. Il la regarde marcher, avec une empathie éloignée, elle aussi, de toute forme de cynisme ou d’ironie.

D'après… Étienne-Martin (La Sauterelle)
2003
Peinture à l'huile, craie grasse sur porte tronquée
108 x 72,5