Cette oeuvre est un palimpseste
: sous cette Sauterelle, une autre, ensevelie ; en déclinant
la Sauterelle, Pierre Buraglio témoigne de la difficulté de
la recherche de la bonne distance, dans le cadre d’un
travail « d’après ». Le support
est une vieille porte, la silhouette d’une femme s´arrête à la
marge supérieure du bois tronqué, lisière
arbitraire de la figuration, où l´artiste tranche
la construction plastique de la figure: il y a là une
volonté de peindre un sujet sans l’exposer dans
son intégrité; le peintre lui inflige une coupe,
une destruction partielle.
L´arrière-plan, triparti en bandes horizontales
de couleurs différentes mais uniformes, permet un détachement
net de la figure; un jeu ambigu s´instaure au niveau des
mains attachées aux hanches et qui se confondent avec
le bassin, traçant des angles obtus qui effacent les rondeurs
de la ligne. A l´intérieur de cette ligne Buraglio étale
avec énergie, au moyen de bâtons à l´huile,
des taches d´ombre et de lumière qui matérialisent
une chair blanche et glaciale et créent une sinuosité troublante.
Le
cadrage est brutal dans sa frontalité: le peintre choisit
une perspective postérieure sans concession... Dans une
esquisse précédente, réalisée à partir
de la même statue, il montrait le visage et le buste pris
de biais, en donnant à la figure une posture hiératique.
Ici, la forme reste massive, solide ; tout en esquissant un mouvement
de marche, la figure expose une fragilité sans défense.
-
Mais ce qui surprend le plus dans le traitement de cette figure,
c’est la projection de son ombre sur le sol : dirigée
dans le sens de la marche, elle crée une vague profondeur
qui entre en conflit avec la planéité du fond vertical.
Associée aux bandes colorées du fond ( -
c’est
en observant les plinthes, au Musée, que Pierre Buraglio
les a conçues), l’ombre portée restitue quelque
chose de l´espace physique d´exposition de l´œuvre
- la salle où se trouve placée la statue; ainsi,
l’artiste affiche une volonté de faire dialoguer
la figure avec son environnement – de ne pas la soustraire à la
contingence de sa présentation.
Enfin, Pierre Buraglio a enlevé son socle à cette
femme sans grâce qu´Etienne-Martin avait sculptée
avec une bienveillance détachée. Il pose ses pieds
au sol. Il la regarde marcher, avec une empathie éloignée,
elle aussi, de toute forme de cynisme ou d’ironie.