Hippolyte Flandrin Autoportrait

Cet autoportrait date de 1860 et se situe donc au tournant de l'histoire du genre, qui connaît un renouveau extraordinaire après 1850 - tous les grands maîtres de la peinture officielle se peignent jusqu'à dix fois . Bon élève d'Ingres, Flandrin adopte la pose traditionnelle de l'artiste se regardant dans un miroir ; il se représente avec ses accessoires, et utilise un fond neutre. La représentation obéit aux règles de dramatisation et de camouflage : les traits sont vieillis - Hippolyte n'a que cinquante ans, et il en paraît soixante- et le regard cache un strabisme qui s'est accentué avec l'âge. On n'est pas loin de l'embellissement des portraits de cour.
On ne peut dénier malgré tout une certaine originalité à cette toile. Replaçons-la d'abord dans le contexte muséal : à sa droite, l'autoportrait de Louis Lamothe, à sa gauche, les portraits de Georges Brölemann et de Madame Edouard Brame peints pas Flandrin. Moins guindé, moins figé, notre autoportrait représente une moins belle figure. Dans la lignée des autres autoportraits de Flandrin, nous constatons avec stupeur qu'il est le seul à représenter un vieil homme. Voilà d'où émane le charme de ce tableau qui sous bien d'autres aspects nous semblait conventionnel : il y a, entre le peintre et son reflet, un voile de mélancolie.
Les teintes sont plutôt sombres, le fond, gris vert foncé, le vêtement bleu marine et le béret, noir. Mais un jeu de clair obscur met en valeur le visage, les yeux et les mains - le corps même du peintre, ces outils de travail intimes que sont ses propres mains, son propre regard. Or ces mains sont ridées et ce regard est voilé : signes du vieillissement d'un corps et de la fin prochaine d'une oeuvre. En contre point, une impression de mystère: les yeux fixent un objet hors-champ, et c'est à cette perception d'un objet invisible qu'obéissent les mains qui peignent la toile. Autrement dit, nous voyons une opération de cadrage - mais pas le sujet cadré. C'est à coup sûr son propre reflet qu'Hippolyte cherche à saisir, mais cette image qui nous échappe comme elle lui échappe induit un secret - comme une répétition du regard d'Orphée qui, en se retournant pour saisir une image chère, la voit disparaître à jamais en s'enfonçant dans les Ténèbres.


 
  Hippolyte FLANDRIN
Lyon (Rhône), 1809 – Rome (Italie), 1864

Autoportrait au chevalet
vers 1860
Huile sur toile
H. 0,67 ; L. 0,54

Inventaire B-1555