Tout invite à considérer
ce dessin au fusain comme un portrait, du référent
au cadrage; pourtant, le recadrage opéré par
Buraglio supprime l'élément essentiel d'un
(auto)portrait :
le visage, et dans ce visage, le regard, ces deux lieux privilégiés
pour saisir la singularité de l'autre. La représentation
d'un peintre à l'oeuvre se substitue ici à la représentation
de soi à l'oeuvre. Un peintre dessine un peintre qui
dessine et la décapitation, thème récurrent
chez Buraglio, prend ici un sens particulier - source d'une
mise en abyme qui dérange
et décentre le portrait. L'intérêt se déplace,
de la figure au point de vue.
Le corps, lui, est recouvert de telle façon qu'on ne peut
plus reconnaître son sexe; on sait seulement qu'il dessine;
le châssis occupe un tiers de l'espace, laissé blanc
; effet de cadrage aussi, l'intersection des deux lignes du bras
et du support forment le premier plan, achevant un angle qui
ouvre le deuxième plan. Cadrage encore, la succession
d'angles en forme de V. Un peintre cadre un peintre qui cadre.
Ce jeu sur les angles et l'angle de vue se double d'un travail
graphique complexe : le fusain croque le cou, la poitrine et
la toile par quelques lignes fines, mais il marque les phalanges,
les ongles, et quelques rides.
Ce portrait décentré et neutralisé se recadre
donc sur les mains. Placées l'une au dessus de l'autre,
elles occupent dans l'espace une place de choix, au coeur même
du dessin. Crispée sur le support, la droite désigne
l'espace derrière la toile ; la gauche est recroquevillée
vers la poitrine du peintre, pointant l'espace vide entre le
corps et le tableau. Elles apparaissent donc dans deux champs
antithétiques dont la toile est la frontière :
une extériorité, et une intimité. Portrait
de l'intimité d'un geste, autoportrait de Buraglio autant
que celui de Flandrin, l'auportrait glisse vers l'autopsie, celle
du geste créateur.