Présenter veut dire rendre présent. Ce qui est dit n’est pas séparé du moment singulier où c’est dit. L’action du peintre est contemporaine de ce qui est présenté (il s’applique à cette exacte concomitance). Il y a coïncidence entre l’expérience perspective du spectateur et l’évidence du faire.
Le spectateur assiste à l’évènement du tableau. Les surfaces, leur peintre et lui-même sont sur la même scène. Ce qui est montré n’a pas été constitué dans l’avènement d’un spectacle de formes figuratives ou non : c’est à son événement perpétuel qu’assiste celui qui regarde. Cette mise au présent devra permettre de protéger le discours que ces surfaces matérialisent. En effet, la vérité du travail du peintre est menacée d’oblitération parla marchandise avec laquelle il se confond. L’exercice d’une telle peinture est lieu et moment de la contradiction suivante : il est l’évènement, donc, et Histoire ; Histoire en effet par la transformation du support choisi ; en espace expérimenté. La présentation postule son espace. L’espace perceptible est celui-là compris dans les limites du cadre à peindre. Dès lors qu’il n’est pas figuré mais littéral, qu’il n’est pas diffusé ou rendu possible, qu’il ne mesure pas une fiction d’espace mais présente sa propre mesure : il s’identifie aux quatre côtés du cadre en se dédoublant et en affirmant d’emblée sa différence avec lui (le châssis de bois qui l’enserre).
Evènement en ceci que cet espace (cette superficie) reste surface et fait écran. Maintenant le spectateur isolé de la mémoire des choses dans l’extrême dépendance de la vision – il ne sera pas distrait. Vision d’une illisibilité manifeste ; laissée anonyme.
Je dis bien illisibilité (manifeste), illisibilité lisible comme telle.

Pierre Buraglio Préalablement… il faut admettre.] (1968) [pp.30-31]


Je continue à faire un travail qui soit le plus immédiatement lisible, démontable.

Pierre Buraglio
Entretien, en juillet 1988, avec C.P., pour Octobre des Arts. (1988) [p.148]